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Le feu, Henri Barbusse

Ecrit par Martine L. Petauton 23.01.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Petite bibliothèque Payot, Roman

Le feu, 464 pages, 8,65 €

Ecrivain(s): Henri Barbusse Edition: Petite bibliothèque Payot

Le feu, Henri Barbusse

 

Un des grands livres, sinon « le » livre sur la grande Guerre, écrit, dans le même temps que les faits, à la manière d’un reportage heure par heure, « Journal d’une escouade » en étant le sobre sous-titre. Le titre lui-même – trois lettres tirées à bout portant, lumière d’un autre monde de cauchemars – vise dès l’ouverture du livre son lecteur au cœur.

Le feu, Goncourt 1916 – en un temps où les Goncourt pesaient vraiment en termes de talent et d’importance. Cent ans et pas une ride. Chef d’œuvre absolu. On lit le Barbusse, et après, on voit.

Mieux que toutes les images des archives – même recolorisées – plus fort que les banques de sons rameutant les bruits éraillés des obus et fusées des plaines du Nord, ces 400 pages incontournables donnent – pour ceux qui en douteraient – à la littérature, à la force des mots seuls, la place tout en haut du podium, face à l’Histoire. « Voyage au bout de l’enfer », a dit, en un autre temps, un film sur une autre guerre. On y est.

Bâti à la façon journalistique – immersion goutte à goutte dans le vécu d’une tranchée, quelque part en 1915. La force du récit s’articule en micro-nouvelles : Dans la terre ; L’asile ; Le barda ; La virée… Le Front immobilisé de la guerre de position. La guerre de tranchées, coupant la terre du Nord. L’enfer de Dante, évidemment, de mot en mot, de page en page. Le feu semble un immense opéra aux phases musicales balançant moments de symphonie assourdissante, alternant avec d’autres moments soufflés où il nous faut tendre l’oreille. Tensions/détentes qui construisent toute musique ; technique littéraire où excelle Barbusse. Ainsi, par courtes saillies – parfum d’un étrange Arrière – où s’agite la vie des villages, perchés au-dessus des tranchées, qui négocient le moindre coin de paille au fond de granges froides, et profitent de la guerre, sou après sou.

« Là-bas, du faîne d’un peuplier, descend toute tourbillonnante, une pie, qui, mi-blanche, mi-noire, semble un morceau de journal à moitié brûlé. Les soldats s’étirent sur un banc de pierre, les yeux mi-clos, et s’offrent au rayon qui, dans le creux de cette vaste cour, chauffe l’atmosphère comme un bain ».

La réussite du livre tient probablement en ce balancement quasi constant entre bruit et silence, douceur d’une quotidienneté floutant le fond d’écran et exceptionnalité infernale de la tranchée, vie qui ne tient plus qu’à un fil, et mort – et quelle mort ! – omniprésente. Mais dire que cela viendrait d’hommes ici, et d’animaux là, serait erreur majeure, car, tel un enjambement constant, les hommes de l’escouade, bien vivants avant que d’être morts ; les Valpatte, les Paradis, les Bertrand, entourant le « je » de Barbusse, gardent de la première à la dernière ligne du récit le nom de l’Homme, qui, incarnant l’humanité la plus souffrante qui soit, dans cet étrange chemin de croix sans religion, revendiquent comme ultime mission un essai de sens, en une langue de tous les jours : « si on s’rappelait, dit l’autre, y aurait pu de guerre ».

Comme dans un jeu de poupées gigognes, les temps, forts et plus faibles, habitent le déroulé, en un rapide/calme ; bougeant/immobile, constant : intérieur de la tranchée, extérieur, jour s’étirant, nuit agitée de tous les dangers, repas, faim, sommeil, là où l’on se trouve. Boue, saleté ; lumière blafarde, jamais, absolument jamais, soleil. Période de l’arme au pied, Assaut. Vie face à la mort des camarades. Clivage entre lieux et situations permettant au moins la survie psychique de chacun des combattants ? Pas sûr ; pour exemple, la terrible cohabitation entre cadavres et quotidienneté… « la lividité de la nue blêmit et plombe les sacs de terre aux plans vaguement luisants et bombés, tel un long entassement de viscères et d’entrailles géantes mises à nu sur le monde. Dans la paroi derrière moi, se creuse une excavation et là, un entassement de choses horizontales se dresse comme un bûcher. Des troncs d’arbres ? Non, ce sont des cadavres ».

Lire Le feu, maintenant, à deux encablures du centenaire de son Goncourt, en pleine commémoration de la grande Guerre. Impératif, pour – peut-être – mieux affronter nos peurs d’aujourd’hui, pour – mains d’homme à homme à travers le temps de l’Histoire – « apporter tout de même la preuve que le soleil existe ». Derniers mots d’un livre immense.

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Henri Barbusse

 

Henri Barbusse est est un écrivain français.

Le futur écrivain eut de bons maîtres : son père, pasteur et critique théâtral, Mallarmé, son professeur d’anglais et Bergson, son professeur de philosophie. Des prix récompensent bientôt ses poèmes et ses contes.

Catulle Mendès, son futur beau-père et grand ami, le repère, publie son premier recueil "Les Pleureuses" et lui ouvre les portes du monde. Barbusse collabore à de nombreux journaux et prend en main Fémina et Je sais tout. 

En 1910, les droits d’auteur de "L’Enfer", roman triste et noir paru en 1908, lui permettent d’acquérir une maison champêtre à Aumont-en-Halatte qu’il avait repérée au cours d’une convalescence chez un ami à Senlis. Il la baptise Villa Sylvie, en souvenir de Gérard de Nerval qui fut proche voisin. C’est par le tambour du garde-champêtre d’Aumont que Barbusse apprend la mobilisation générale en août 1914. À quarante et un an, réformé, il se porte pourtant volontaire. Affecté à Albi, il demande à être muté sur le front. Sur le front, entre deux batailles, il rêve d’Aumont. Atteint de dysentrie, il est évacué et commence à écrire "Le Feu" ( prix Goncourt 1916) à l’hôpital, avant d’être définitivement réformé en juin 1917.

Le "Zola des tranchées", la gloire littéraire du parti communiste à partir de son adhésion en 1923 - et avant Louis Aragon - consacre les années qui suivent la guerre, jusqu’à sa mort en 1935 (frappé par une pneumonie lors d’un voyage à Moscou), au militantisme et à la défense de la paix. Il accumule les créations de mouvements, de revues, de congrès internationaux contre le fascisme : le mouvement et la revue Clarté en 1919, l'hebdomadaire Monde en 1928, l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR) en 1932, le Congrès d’Amsterdam la même année (qui fusionne en 1933 avec le Congrès de Pleyel pour constituer le Comité mondial contre la guerre et le fascisme, dit "Amsterdam-Pleyel".

 

(Source Babelio)

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)