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Le bruit de nos pas, Ronit Matalon

Ecrit par Martine L. Petauton 04.03.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Israël, Roman, Stock

Le bruit de nos pas, traduit de l’hébreu (Israël) par Rosie Pinhas-Delpuech, août 2012, 466 p. 22,90 €

Ecrivain(s): Ronit Matalon Edition: Stock

Le bruit de nos pas, Ronit Matalon

 

« Le bruit de ses pas : ni un cliquetis de talons, ou un raclement de sabots, ni un frottement de semelles ou de pieds qui traînent sur les pierres du trottoir conduisant à la maison, non. L’absence de bruit de ses pas, l’angoisse qui se répand à l’approche de sa venue, son entrée, le silence absolu, plein, mesuré à l’unité temporelle de douze minutes et qu’annonçait l’arrivée de l’avant-dernier autobus, celui de onze heures, dont elle descendait… ». Tout, presque tout, du livre, dès les premières lignes : longues phrases précises et meublées ; rythme travaillé, lourd et traînant comme le climat de là-bas ; on pourrait dire, une musique – du Slam, par exemple. Densité de tous les micro-faits – arrière-boutique d’un accessoiriste de cinéma, où l’on trouve exactement tout ; bouts de vêtements, couleurs, odeurs. Peu de personnages ; on le sent d’entrée, mais pesant, lourds comme l’or, sur un décor minimaliste, dessiné à la perfection. Langue hébraïque zébrant le récit, dont on garde l’accent, chantant et rauque à la fois, au creux de l’oreille : – ya tawli, ya rouh ! Que tu vives longtemps, mon cœur !

Une famille de Juifs émigrés, posés – années fin 50/60 – dans les baraquements d’un Israël encore jeune. La mère, comme il se doit, dans cette culture, déjà âgée, forte de son rôle premier : « il y avait le regard particulier qui émanait d’elle dans les photographies ; une sévérité quasi majestueuse » ; plusieurs enfants ; Sami, gamin handicapé, Corinne, coiffeuse toute dans l’image ; « l’enfant », petite fille dont on ne saura pas le nom ; c’est le regard du livre, et puis, un père absent, fantasque et baroque ; une tempête entre deux autobus… une grand-mère, enfin, comme on en rencontre partout, lien, chaleur, éponge !

Entre eux, et leurs pas mélangés, comme traces sur la boue de ce lieu de transit, des colères, des cris – beaucoup ! les peurs des enfants le soir, les haines recuites, des rires aussi, et, bien sûr, des secrets, venus d’avant ou d’ailleurs : l’Egypte, pour la mère, l’Italie, pour le père. Sur tout cela, se posent, étonnamment silencieux et vigilants, les yeux de « l’enfant ». Entre nous, et eux, son regard à elle, celui d’une petite fille, qui raconte, bien après. Un coup, tournant les yeux vers la baraque, un autre, se tournant vers nous : « qu’est-ce que nous sommes, demanda l’enfant à la mère : montagne ou plaine ; montagne, non ? dit la mère ». Le livre, du reste, aurait pu porter comme titre : « l’enfant »…

Maintes entrées dans le récit : « tranche de vie quotidienne », par exemple ; gourmandise de documentariste, ou, historique, politique ; un contexte précis qui a « ses » pages, un peu comme dans un manuel : les « Bengourionistes », sont dénoncés, haïs, à longueur de passages précis : n’ont-ils pas, de fait, « éliminé », dans cette Israël naissante, les Séfarades de tous les postes de décision ? Effluves de ce conflit inter-juifs, qu’on a connu en Europe, avant-guerre, par exemple.

Dans ce gros livre, qui aurait gagné avec un pan de pages en moins, en nervosité et, rien perdu en poésie ! chaque chapitre fait office de mini-nouvelle ; impeccables ciselures, et chute de scène de théâtre. La dernière phrase, parfois le dernier mot, est le titre du chapitre suivant, donnant ainsi à l’ensemble une musicalité étrange et envoûtante. L’idée passe parfois, que Matalon, en chef d’orchestre chevronné, aurait organisé ce livre qui ne s’avoue pas autobiographique, mais en a tous les parfums, comme un Opéra – ses récitatifs, ses grands chants ; l’orchestre seul, ici, la mort, là… quelle diva pour la mère ? Une Callas, certes ! pas moins.

« Les samedis pesaient comme une couverture opaque, le cyprès se figeait dans le bleu poussiéreux… tout est figé, disait la mère… ça vide l’âme lentement à la petite cuillère »… belle moisson d’émotions et d’écriture !

Étrange et prenant voyage, que ce Bruit de nos pas, de « leurs » pas, de « ses » pas, au bord « bidonvillé » du pays des Juifs, de la famille – ce qui parfois, ici, semble revenir au même… une grande réussite.

 

Martine L Petauton


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A propos de l'écrivain

Ronit Matalon

 

Ronit Matalon (hébreu : רונית מטלון), née en Israël le 25 mai 1959 dans une famille juive égyptienne, et morte le 28 décembre 2017, est une  romancière, journaliste et essayiste israélienne.

 

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)