Le bonheur par la lecture : En hommage à Tahar Djaout, par Amin Zaoui
« Quand je l’ai accueilli en invité dans mon émission télévisée Akwas, quelques mois avant son assassinat, Tahar Djaout était lui-même, courageux, artiste, visionnaire, lucide, transparent, passionné de la lecture… Merci Tahar Djaout tu ne mourras jamais. Merci Tahar on ne t’oubliera jamais. Salut l’ARTISTE ! »
La lecture est le sel de la vie.
Un bon écrivain est d’abord et avant tout un très bon lecteur. L’écriture en elle-même est un exercice continu de la lecture. Une autre lecture qui se fait en souffrance, dans la souffrance pour combattre la souffrance. Les écritures, peu importe le temps ou la langue d’origine, se communiquent entre elles à travers les lectures.
Un bon citoyen c’est d’abord et avant tout un lecteur ! Il n’y a pas de citoyenneté sans la lecture de plaisir, celle qui garantit et renforce la liberté. La lecture est le chemin vers la citoyenneté, vers le vivre ensemble, vers le bonheur partagé, le droit partagé, le devoir partagé, la patrie partagée et protégée !
La lecture de la bonne littérature nous apprend le rêve, nous apprend « le comment rêver ». Le rêve et « le comment rêver » sont la grande leçon, la grande moisson d’une lecture révélatrice. Et le rêve positif, produit de la récolte d’une bonne lecture, est le soldat éveillé pour la défense de la liberté individuelle ou collective. Il n’y a pas d’homme ou de femme libre sans le jardin de rêves. Une société qui ne rêve pas est condamnée à pourrir ou à mourir. Un pays où le rêve est banni n’est qu’un morceau de terre morte et infertile. Le rêve enfanté par la lecture a la forme d’un pic qui creuse dans le mur de la noirceur afin d’élargir la lumière sur la réalité morose.
La lecture libère l’écrivain et elle est libératrice du lecteur, en même temps.
La lecture est une jouissance charnelle et spirituelle. Elle est le bonheur dans sa dimension corpo-lettre. Jean Sénac (1926-1973) le poète rebelle et insoumis, l’enfant de Beni-Saf, a créé un terme magique qui est « corpoème ». Une fabrique d’un poète qui a traversé la vie, présent sur tous les fronts, croquant la pomme de la vie et de la poésie. Une imagination d’un acte de fécondation, d’accouplement entre le texte et le corps, le textuel et le corporel. La création poétique s’accorde avec le bonheur charnel.
Érotiser la chair et le mot. Quand le mot glisse dans la chair et la chair remplace son sang par l’encre des mots c’est la nativité du bonheur par la lecture !
Un bon lecteur, ou liseur, qu’importe le mot, mes excuses auprès des Faqih de la langue de Molière, les puritains, ce bon lecteur de cette bonne littérature se voit vivre sa vie au pluriel. Se voit sa personnalité forgée dans la profondeur d’une infinie de miroirs et de mémoires. Se voit sa langue se délier sans handicap aucun dans plusieurs bouches. Se voit sa voix bercée par une multitude de cordes vocales ! La lecture prolonge et multiplie la vie. La lecture fait ouvrir l’œil et le cœur sur d’autres vies, sur d’autres sensualités, sur d’autres envies, sur d’autres fenêtres. Aventures ! En lisant un beau roman, petit à petit, on se trouve glissé dans la peau des autres personnages. Ils nous ressemblent et nous les trouvons semblables à nous. On devient plusieurs ! Le je devient il ! Moi, devient lui ! Moi-même, devient autrui, la vie prend le sens de la belle folie !
Si l’écrit est un tatouage, quelques lectures le sont de même. On n’oublie jamais ce qu’on a lu dans notre enfance, ces textes qui ont enfanté nos rêves, ont fabriqué nos petits bonheurs.
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Alger)
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