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Le blé en herbe, Colette

Ecrit par Sophie Galabru 23.08.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Le blé en herbe, Garnier-Flammarion

Ecrivain(s): Colette

Le blé en herbe, Colette

 

Le talent de Colette a su saisir un instant, celui du passage de l’enfance à l’adolescence, des jeux insouciants à la conquête d’un avenir d’homme et de femme. Vinca et Philippe sont des amis de vacances ; leurs parents, les Ferret et les Audebert, louent chaque été la même villa sur la côte cancalaise. Cet été-là, la fraternelle amitié, ce lien fait d’aventures, de pêches aux écrevisses, de rires et de chamailleries sableuses traverse l’eau trouble des désirs naissants : « Toute leur enfance les a unis, l’adolescence les sépare ». Durant leurs excursions, Vinca et Phil n’étaient l’un pour l’autre ni fille ni garçon, mais deux compagnons de vacances. Les baignades se transforment en discrets jeux de regards sous lesquels naissent peu à peu le corps de l’autre comme l’évidence du désir. Philippe observe et détaille sa petite compagne ; Vinca apparaissant dès lors comme une femme, la femme qu’il faut posséder. L’autre s’émancipe vers son identité propre, son devenir sexué, dans une faiblesse nouvelle qu’il faut captiver. Si l’enfance se tenait entre Vinca et Philippe comme un temps sans durée, sans distance, et sans altérité, l’adolescence vient dès lors irrésistiblement troubler la paix des corps.

Le temps immémorial de l’enfance s’éteint comme le crépuscule avant le premier jour de l’âge d’homme. Philippe a seize ans, et l’enfant qu’il est encore un peu s’impatiente de l’homme qu’il sera, s’irrite contre les chemins de traverse, le dur labeur d’un avenir à édifier « je crève à l’idée que je n’ai que seize ans ! Ces années qui viennent, ces années de bachot, d’examens, d’institut professionnel, ces années de tâtonnements, de bégaiements où il faut recommencer ce que l’on rate, où on remâche deux fois ce qu’on n’a pas digéré si on échoue, ces années où il faut avoir l’air devant papa et maman d’aimer une carrière ». L’envie de vieillir, « avoir vingt-cinq ans », la magie de la maturité sans effort, sans douleur se trouve peut-être pour Philippe au bout de l’étreinte amoureuse. A l’intolérance de l’adolescent succède bien souvent la crainte écolière des vacances trop vite passées, de l’odeur de rentrée, de la douloureuse mise en ordre des jours de septembre, la reprise d’une vie sans Vinca, sous la gouverne silencieuse des parents, ces « Ombres » comme les appelle Colette. L’auteur parvient à s’emparer du vertige de Philippe et à maintenir en équilibre le moment précaire de l’entre-deux-âges.

Afin de mieux goûter à cette indépendance avant l’heure, Philippe songe, fantasme « la vie d’adulte », projette sur fond d’un futur trop lent à s’esquisser les idées vagues de mariage, de foyer, de paternité, attelages d’une vie d’homme installé. Ses rêves virils virevoltent et se mélangent, nourris de toute l’inexpérience sur les femmes et l’amour dont un garçon de cet âge peut souffrir. Le feu de son imagination contraste singulièrement avec le calme silencieux et sage de Vinca se préparant déjà aux responsabilités d’une femme, d’une mère, d’une maîtresse de maison, pour qui grandir n’est pas synonyme de choix mais d’acceptation, de perpétuation. Philippe qui voudrait voir Vinca lui appartenir comme une amante, et même comme une épouse, se heurte alors à la pureté d’une jeune fille aux allures de garçonnet. Sa soif de volupté rencontrera donc d’autres bras ; la virilité ne se paye qu’à ce prix. Les serments d’amour des enfants ne suffisent pas à l’homme qui l’appelle. Le jeune homme trouvera son chemin au creux d’une inconnue, Madame Dalleray. Comme une seconde naissance, la virilité s’établit ainsi par la trahison de son union fraternelle à Vinca. Pourtant Colette ne laisse pas la jeune fille à l’image d’enfant insouciante et sans désirs. Elle parvient à dessiner sa féminité, toute en réaction à la trahison de Philippe. Comme une fatalité, Colette nous représente Vinca dans l’intuition, la jalousie, et le pardon. Leur histoire offre une étude discrète d’un couple, dont la jeunesse n’exprime que plus purement les aléas si constants de l’amour.

Le blé en herbe est peut être plus profondément l’éclat de l’enfance, la « hâte de vieillir » comme la peur de perdre cette époque si douce où les liens ne s’emmurent en nul serment, parce que la trahison comme la possession n’existent pas. Pureté des descriptions, suavité des métaphores, le thème unique de l’adolescence suffit à tenir un récit d’une belle simplicité, tout en maintenant la tension aiguë d’une épreuve du feu : quitter l’enfant que l’on est.

 

Sophie Galabru

 


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A propos de l'écrivain

Colette

 

Colette, nom de plume de Sidonie-Gabrielle Colette, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne) et morte le 3 août 1954 à Paris, est une romancière française. Après Judith Gautier en 1910, Colette est la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt en 1945. Elle en est également la première femme présidente entre 1949 et 1954. Adolescente, Colette rencontre Henry-Gauthier Villars, surnommé Willy, avec qui elle se marie. Il introduit Colette dans les cercles littéraires et musicaux de la capitale où la jeune femme fait sensation. Vite saisi par les dons d’écriture de sa jeune épouse, Willy l’utilise elle aussi comme nègre littéraire (le premier manuscrit de Colette date de 1893) puis dès 1895 l’engage à écrire ses souvenirs d’école, qu’il signe de son seul nom. On compte parmi ces écrits la série des Claudine : Claudine à l’école, bientôt suivi de La Maison de Claudine, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va, publiés sous le nom du seul Willy. En 1905 elle publie le premier livre sous son nom de Colette Willy, Dialogues de bêtes. Encouragée par le comédien et mime Georges Wague (1874-1965), elle commence alors une carrière au music-hall (1906-1912), où elle présente des pantomimes orientales. Par la suite elle se produit au théâtre Marigny, au Moulin Rouge, au Bataclan, ou en province (ces spectacles transparaîtront dans La Vagabonde ou L’envers du music-hall). Après son divorce, Colette a une brève liaison avec Auguste-Olympe Hériot, rencontré à la fin de 1909. Puis elle fait la connaissance de Henry de Jouvenel, politicien et journaliste, qu’elle épouse en 1912 et qui l’engage à donner quelques billets et reportages au Journal Le Matin dont il est le rédacteur en chef. De lui, à Castel Novel de Varetz (Corrèze), elle aura sa seule enfant, Colette Renée de Jouvenel, dite « Bel-Gazou ». En 1945 Colette est élue à l’unanimité à l’Académie Goncourt dont elle devient présidente en 1949. Ayant vitre compris que la célébrité passe par la maîtrise de son image, elle devient l’écrivain la plus photographiée du 20e siècle. Les Œuvres complètes de Colette sont publiées en quinze volumes par la maison d’édition Le Fleuron, créée par Maurice Goudeket. Elle meurt le 3 août 1954. En dépit de sa réputation sulfureuse et du refus par l’Eglise catholique d’un enterrement religieux, Colette est la première femme à laquelle la République ait accordé des obsèques nationales. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Sa fille repose à ses côtés.

 

A propos du rédacteur

Sophie Galabru

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Rédactrice

Sophie Galabru est agrégée et docteure en philosophie. Ses recherches portent notamment sur la phénoménologie (en particulier l’œuvre d’Emmanuel Levinas), la philosophie du temps et de la narration.