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La Valise vide, Kaveh Ayreek (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 12.12.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

La Valise vide, Kaveh Ayreek, éditions L’Espace D’un Instant, février 2022, trad. du dari (Afghanistan), Guilda Chahverdi, 54 pages, 11€

La Valise vide, Kaveh Ayreek (par Didier Ayres)

 

Topographie

Disons, tout d’abord, que cette pièce écrite en dari ne tombe pas dans les clichés. Elle se déroule dans des lieux, qui, pour un simple lecteur, s’agglomèrent, agissent par coalescence. Sommes-nous dans un espace rêvé depuis l’Afghanistan, ou depuis l’Iran, ou encore depuis l’Europe ? C’est là que réside l’intérêt pour l’existence de ces quelques personnes, de ces quelques exilés. Car, au-delà de l’exil se trouve la souffrance. Des êtres déracinés, déterritorialisés, transplantés involontairement. Est-ce la terre natale qui envahit par vagues le lieu d’accueil où se trouve l’auteur (et surtout avec lui le lecteur ou le spectateur) ? Est-ce le désir d’être accueilli ? Est-ce la condition primaire de toute émigration ? Qu’en est-il de cette expatriation ? N’est-elle pas essentiellement un rêve de la terre originelle ? Il faut signaler aussi que ce livre est renseigné par la traductrice et par l’éditeur, même si le texte vaut pour lui-même sans autre explication. On sait donc qu’il s’agit d’une séparation, d’une coupure avec l’ascendance, du tiraillement du sang natif dans les veines de ces êtres de papier.

Nous sommes « quelque part en Iran ». Et les voix des personnages se situent dans un temps presque mythique, comme le sont autant les voix de l’éloignement, de la migration, du retour espéré mais par essence déçu, car le pays d’origine devient un lieu de fantasmes, de désir, quelque chose qui reste éloigné dans le temps, toujours différé et qui, par cette procrastination, devient impossible. C’est ce genre de question que l’on se pose au milieu de cette simple tragédie cathartique.

Bien sûr on devine aussi les déplacements forcés, lesquels agissent sur la psychologie du réfugié. Nous sommes dans une dramaturgie plus lyrique que naturaliste, et le sujet de la pièce, la relégation, le bannissement, s’en trouvent mieux éclairés par la poésie que par la relation de faits réels. On flotte donc dans la mémoire, dans celle du proscrit, de l’expatrié. Et l’interrogation porte plus sur les racines que sur l’identité, ce qui est original et évite les clichés.

 

Quand un frère vend son frère

Quand un frère vend sa terre

Quand il reçoit ces mêmes frères à sa table, garnie abondamment grâce à l’argent de leurs crimes

Alors ce peuple n’est plus le peuple qu’il a été.

Cette terre est une jungle qu’il faut fuir

Tu dois t’éloigner de cette terre

Plus loin tu iras et mieux ce sera

 

D’autre part, nous ne sommes pas non plus dans un théâtre politique ou militant. On reste dans la perspective de l’attachement devenant impossible par le sens même du déracinement, celui d’une autre sphère culturelle et linguistique à laquelle l’émigré doit à la fois son salut et sa perte, son accueil et son acculturation.

Ainsi, on comprend excellemment ce qui attache les personnages de cette pièce : le goût sucré du raisin Hérat, ou celui métaphorique des jardins spirituels de Ghazni.

 

Les jardins spirituels

De Ghazni la majestueuse

La patronne des arts, l’élégance des règnes

Pérennité sereine

 

Quoi qu’il en soit, on ressent la tristesse de cette condition, celle de la perte, du manque, du rêve sans issue. On ne quitte pas les abandonnés et on vit leur tristesse, leur désespoir, une espèce de saudade lusitanienne, dans le souffle dramatique de la mélancolie et de l’angoisse.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.