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La Paria, Claude Kayat (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 18.12.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions Maurice Nadeau

La Paria, Claude Kayat, octobre 2019, 235 pages, 19 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

La Paria, Claude Kayat (par Patryck Froissart)

 

La Paria met en scène une sombre et émouvante transposition du Roméo et Juliette de Shakespeare. Au décor de Vérone dans le contexte du XIVe siècle se substitue le cadre de deux villages voisins en Galilée au XXe siècle. Ici les Montaigu sont les Appelbaum, colons israéliens d’une part, et les Capulet sont représentés par la famille bédouine de Karim d’autre part. Yoram Appelbaum endosse le statut de Roméo, et Juliette est réincarnée en Fatima. Quant à Tybalt, le cousin jaloux de Juliette, il se nomme ici Brahim, cousin germain de Fatima.

Le théâtre nocturne du jardin des Capulet, où se rencontrent Roméo et Juliette, est transposé dans un site archéologique désert entre les deux villages de Galilée où Yoram et Fatima se déclarent initialement leur amour puis se retrouvent plusieurs nuits de suite pour des étreintes de plus en plus ardentes, et forcément fatales. Evidemment, les similitudes se limitent à cette trame héritée de la tragédie classique.

Les Appelbaum sont de riches propriétaires terriens, les membres du clan de Karim sont des ouvriers et ouvrières agricoles qui se louent en saison chez les Appelbaum pour la récolte annuelle des amandes. C’est d’ailleurs dans cette circonstance que Yoram et Fatima tombent passionnément amoureux l’un de l’autre. Les Appelbaum sont en position de colons dominants, et les Bédouins les tiennent pour accapareurs, spoliateurs et oppresseurs. Dans ce contexte, l’amour que se vouent les deux jeunes gens sera considéré comme une indécence à peine imaginable par la communauté juive, comme la pire des trahisons par le clan bédouin, et comme une relation contre nature par les deux parties.

L’auteur entretient habilement la tension narrative nécessaire pour tenir les lecteurs en haleine. L’intrigue est construite sur un équilibre toujours volontairement en instance de crise entre opposants et adjuvants, entre des scènes de vie ordinaires et tranquilles et de violentes ruptures événementielles, entre de brutales querelles opposant les uns et les autres et des scènes d’amour parfois empreintes de quelque salacité, entre les interventions de personnages modérateurs (le père et la grand-mère de Yoram d’un côté, le père de Brahim de l’autre), et celles de farouches partisans et partisanes d’une irrémissible incompatibilité entre les deux communautés. Le malaise général est accentué par le contexte historique, celui de la guerre du Liban, qui engendre ses propres tragédies au sein de familles juives apprenant la mort d’un fils tombé au combat, et qui accroît le ressentiment que nourrissent à l’encontre des autorités israéliennes les Bédouins de l’endroit, solidaires des Palestiniens réfugiés outre-frontière.

Le destin tragique de Yoram et de Fatima n’est en définitive que la représentation allégorique du drame que vivent depuis plus de soixante-dix ans deux communautés que l’Histoire a dressées l’une contre l’autre, drame fondé sur un sanglant rapport de force et sur une situation apparemment sans issue de domination et de révolte.

L’humanisme et la générosité dont fait preuve Arié, le père de Yoram, à l’égard de Fatima pourraient être un rayon d’espérance dans la funeste perspective, que vient renforcer le drame central, d’une sombre destinée commune aux deux clans, destinée irréductiblement marquée par la haine de l’autre. Cette lueur de bienveillance suffira-t-elle à l’avènement d’un dénouement optimiste pour cette répétition passionnante de la tragédie shakespearienne ? Laissons aux lecteurs la latitude de le découvrir.

 

Patryck Froissart

 

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NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

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VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)


Claude Kayat est un écrivain franco-suédois né à Sfax (Tunisie) en 1939. Il vit en Suède depuis 1959. Il a enseigné pendant 40 ans le français et l’anglais dans un lycée de Stockholm et a publié en parallèle 8 romans en France. Traducteur, artiste peintre, il est l’auteur de 28 pièces de théâtre écrites en français et en suédois.

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A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)