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La nuit ne se tait pas, Danièle Corre

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) 03.04.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

La nuit ne se tait pas, Éditions Tensing, 2013, 87 pages, 9 €

Ecrivain(s): Danièle Corre

La nuit ne se tait pas, Danièle Corre

 

Paru aux Éditions Tensing en 2013,La nuit ne se tait pasde Danièle Corre accueille en ses lignes vives l’obscurité lumineuse sous-tendant la toile nocturne. Toile tendue dans l’écoute d’une écriture elle-même lumineuse (ainsi que Charles Dobzynski qualifia l’écriture de la poète dans Aujourd’hui poèmeen octobre 2006).

Les mots de Georges-Emmanuel Clancier cités en exergue, extraits de Vive fut l’aventure, en appellent à la Terre et sa lumière (« Terreta lumière// qu’elles’étendede cercleen cerclesans fin// et chante »). Vêtus d’impatience nous tentons, écrit Danièle Corre, d’« égratigner de lumièrenos pans de nuits », besogneux d’un espoir incessant, tous nos sens à l’affût, nous tenant inlassablement à chaque jour recommencé « sur une nouvelle parcelled’espace une autre plate-forme du temps ». Le souffle de nos veilles est semblable à cette lueur que l’appel d’air n’étouffe pas, qu’un excès d’oxygène ou d’attente suffirait à consumer ou éteindre. Au cœur de La nuit(qui) ne se tait pas, l’étincelle d’un souffle soutient nos regards, parcourant les palpitations d’une douceur d’être

« Se pourrait-il qu’une halte

retienne mon souffle

et l’apaise

comme en ces soirs où il se ramifiait

dans les visages sous la lampe »,

écrit la poète.

 

Si La nuit ne se tait pas, c’est que le souffle apaisé d’une âme peut l’accueillir en sa retenue pour en écouter les vagues, le chant, les appels comme, dans la mémoire et le silence d’une marée, se soulève déjà « la premièrevaguedessillant les mirages ». Le « cœur en charpie » peut trouver à se désaltérer dans le creux des ressacs, comme continuer de s’écharper dans les remous d’une nuit qui remue imperceptiblement mais sensiblement, régulant la précipitation ou le vacarme de son cours sur l’arête : la crête vive des choses, à l’instar de cette

 

« Mer localement grosse

à la pointe de Bretagne

de tous les sanglots jetés

avec les griffes de genêts

devenant agitée à forte

brassant les débris

d’ardoise où se déchire

le souvenir.

Visibilité intacte

sur l’arête des roches

et les gestes de cruauté ».

 

Redevenant calme cette mer, comme la nuit, redeviendra source d’apaisement pour qui la regarde.

Acmé, la nuit éclaire nos tourmentes. Élucide nos forces fragiles en en soulignant les contours.

Lucarne bleue ouverte sur l’invisible nocturne, cet opus de la poète Danièle Corre entrouvre les taillis de l’obscur et aère, « sourire aux lèvres » des mots, les broussailles du regard et du cœur pour que s’activent les vigies de la bienveillance, l’avancée plus claire de nos routes semées d’embûches et de talus que nous approcherons, pour y « défaire les sanglotsdans les bras du vent ».

Déployée dans une poésie cosmique – en résonance avec nos états d’hommes et de femmes guettant des fenêtres ardentes (déjà entrouvertes, imprévues ou imprévisibles, encore inconnues, serties dans l’écrin de la nuit) ; tisserands filant leurs histoires de vie « à grands points de nuit » avec « leurs échappées de surpriseleur lucarne /ouvertessur le ciel », tout en « cré(ant) des jourssous les doigts » – la parole de Danièle Corre sort des tiroirs fermés l’éventail des souvenirs tout en ouvrant celui d’un avenir plus clair. Éventail de paysages et de routes, de contrées remises ou inédites, « éclaboussé d’oiseaux,avec ses veines de fleuves,ses froncements de roche, / où les doigts courent

rappeler à la peau

son épaisseur de caresse,

la vie que le temps

greffe ».

 

Enfouis et recueillis nous nous tenons au plus proche de la nuit sur ses pages d’une écriture frémissante traversée de strates, de points croisés et de chutes, de sourires et d’éclaboussures, debout, « mains agrippées /à des falaises de silenceyeux grands ouverts » attentifs au chant de ses murmures comme

« Être à l’effilochée

dans des bouts de sommeil

et des morceaux d’histoire

où rien n’est à reprendre »

 

Dans son dénuement l’épure de la nuit nous révèle à nous-mêmes, dans la nudité vraie d’être soi. Profondément, intensément, concisément, à la fois en son expérience et par le truchement des mots. Si la nuit ne se tait pas, la parole poétique en délivre ici les orgues profondes.

La nuit ne se tait pasressemble (à l’image de la couleur dominante de sa 1èrede couverture) à une lucarne bleue dont une lueur permanente ou résurgente éclairerait les pages blanches comme des pans de la nuit, que la poésie adoucit jusqu’à faire trembler les sentinelles de nos cadastres d’existants aux parcelles d’être délimitées, exposées aux « hordes du monde en feu ». Face au risque du Vivre, être deux sauverait la mise, du moins sauvegarderait une ferveur salvatrice. Si La nuit qui ne se tait paspeut faire se cogner l’alerte « de tous ses gondsaux parois du sang », la vie à deux en fortifie la digue où s’y accrocher pour, fragiles et forts comme des falaises, « userfollement nos forces » face aux tempêtes du Dehors.

 

Murielle Compère-Demarcy

 


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A propos de l'écrivain

Danièle Corre

 

Née à Villeneuve-sur-Yonne, Danièle Corre a passé une partie de son enfance en Lorraine. Professeur de lettres, elle a mis en place des ateliers d’écriture poétique qu’elle anime en milieu scolaire, initiant ses élèves à la poésie contemporaine. Elle a reçu de nombreux prix dont le prix Max Jacob en 2007. De sa collaboration avec Sarah Wiame sont nés de nombreux livres d’artiste aux éditions Céphéides. Elue à l’Académie Mallarmé en octobre 2015, elle est membre du comité Aliénor qu’elle a présidé.

 

A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.