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La nature exposée, Erri De Luca

Ecrit par Philippe Leuckx 11.04.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Gallimard

La nature exposée, mars 2017, trad. italien Danièle Valin, 176 pages, 16,50 €

Ecrivain(s): Erri de Luca Edition: Gallimard

La nature exposée, Erri De Luca

 

 

Le dernier livre de De Luca est tout à la fois un roman aux divers personnages anonymes, une réflexion sur la mer, la montagne, la sculpture, une fable sur notre destinée, un hymne à la création, un aller-retour de la campagne à la ville aimée, Naples.

C’est peu dire que ce livre enchante. Autant par son histoire, toute simple, que l’on pourrait prendre pour édifiante, celle d’un sculpteur, quitté par une femme qui lui reprochait sa modestie, et qui se voit chargé de la restauration d’un Christ crucifié, que l’on doit à un artiste disparu, statue qui s’est vu infliger une modification par rapport à l’original. On a en effet couvert la nudité d’un ajout. On a maquillé la gêne, c’est-à-dire la nature, le sexe. Il s’agira donc de renouer avec la sculpture initiale, nue, en marbre, enlever le drapé qui la gauchissait.

Notre sculpteur, par ailleurs contrebandier passeur comme deux de ses amis villageois, qu’il a sauvés d’un péril, se met à la tâche, discute avec le curé qui était en peine de trouver l’âme artiste capable de restaurer la sculpture, après nombre d’essais. Il part de son village frontalier, s’installe en bord de mer, rencontre une autre femme, noue l’amitié avec un ouvrier algérien, qui travaille dans les marbres, va jusqu’à Naples pour revoir les nus antiques, en revient, et trouve la finalité de son projet.

Relaté ainsi, le récit pourrait paraître sec, alors qu’il s’agit d’un roman de vie, où le sculpteur va s’identifier avec le nu auquel il redonne vie, en allant jusqu’à se faire circoncire pour mieux calquer le mouvement du marbre, donner vie à ce début d’érection de la gêne qu’il a repérée en soulevant le drapé.

De Luca nous donne là une œuvre majeure, où la création prend le dessus sur l’anecdotique, où tout mouvement vers l’autre, vers le marbre, d’amour, d’amitié, de partage, est d’une humanité étincelante. En peu de pages, le romancier transcende sa matière, l’élève à une réflexion sur le religieux, sur ce sentiment profond de donner à toute mission un caractère sacré. Que l’on soit oui ou non croyant, toute œuvre est essentielle, elle donne à l’être son pesant d’existence et de réalité. Le personnage central, qui a perdu son jumeau, trouve là comme une réponse à une absence longue de cinquante-six ans.

La nudité du thème est celle aussi des phrases, de cette prose nue et simple qui coule, comme des flancs d’une montagne, comme des flancs de la statue revivifiée.

La création veine tout le roman, lui donne cette nervure essentielle de souffle, de nature et de vie. L’artiste sent mieux que quiconque qu’il a en mains son destin, loin des réputations surfaites, dans l’anonymat le plus complet, rien que parce qu’il procède d’une nécessité qui le dépasse. Créer comme on touche un corps, comme on sent sous la main l’aspérité ou la douceur.

Cette fable va donc loin et donne à ce livre l’importance d’une expérience complexe où les éléments, l’humain et le partage tissent la nature véritable de l’être, appelé à participer au monde qui l’entoure. Et ce, presque sans témoin, si ce n’est son for intérieur.

Un très beau livre.

 

Philippe Leuckx

 


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A propos de l'écrivain

Erri de Luca

Erri de Luca, né à Naples en 1950, est l’un des écrivains italiens les plus lus dans le monde. Il vit à la campagne, près de Rome.

 


A propos du rédacteur

Philippe Leuckx

 

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Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise

Genres : romans, poésie, essai

Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...