La fille de la pluie, Pierric Guittaut
La fille de la pluie, octobre 2013, 271 pages, 14,90 €
Ecrivain(s): Pierric Guittaut Edition: Série Noire (Gallimard)
Série Noire Gallimard ; la crème des Polars, donc. Qui dit roman policier, entend meurtre, ou, mieux, assassinat – du rouge, encore du rouge ; une enquête rondement menée, par un type (pas trop, une femme) à la pipe entre les dents. A la fin, après moult méandres, on chope l’assassin, qui, souvent, n’est pas celui auquel vous pensiez. On peut en profiter – c’est mieux – pour distiller deux ou trois tranches de vraie vie dans les faubourgs de L.A., ou chez les bouchers de Montrouge ; ça s’appelle faire du sociétal.
Un policier, c’est ça, mais pas celui-là.
Là, c’est construit à l’envers : le mort n’arrive qu’à la fin ; l’enquête est pour le tome II à venir, mais, il n’y a pas une page, sans que vous n’attendiez le meurtre, le suicide, l’assassinat spectaculaire, si ce n’est multiple. Vous avancez, pris à la gorge : « sûr, ce sera… », et ce n’est toujours pas !
Réussi, au cordeau, cet opus oscillant entre suspense, sociologie rurale, éclairage psychologique de tréfonds pas bien nets. Au bout, un magistral roman noir, qui marche sur d’autres chemins que ceux de tout le monde.
Ça commence par du Musset : « comme il fait noir dans la vallée… j’ai cru qu’une forme voilée… flottait là-bas dans la forêt… », et pas mal de choses sont déjà dites. Atmosphère lourde, humide – il pleut à chaque page, et on en attraperait presque un rhume. Poisseux, pas loin de glauque, le récit. Le cadre est une campagne, boisée, chasse et sangliers ; quelques bleds posés entre fermes isolées et bistrot, boulangère négociant ses charmes entre deux viennoiseries ; le vénéneux du bocage, et de ses paysages coupés en autant de secrets ; la Sarthe peut-être, l’Indre ou, pas loin. Le narrateur, Hughes, est un clerc de notaire, malheureux en ménage ; son 4/4 s’égare « un jeudi d’automne, à la tombée de la nuit ». Voilà le sombre – plus noir qu’un Soulages – bouquin qui démarre et n’est pas près de vous tomber des mains…
Fortement architecturé, le tabellion, qui dans un autre temps fut footeux : « les soirées dans les bars après l’entraînement, la paillardise des blagues et des chansons sur les femmes. C’était l’époque des matchs amateurs et des terrains gras, des arbitres retraités en survêtement, des femmes de joueurs avec les poussettes le long des rambardes en guise d’uniques spectateurs… ». C’est pas l’enfer vert de l’Amazonie, mais, parfois, ça ressemble. Étouffant, en climat océanique dégradé de cette « douce » France. Pullulement de chiens, pas vraiment à la mémère ; assauts de sangliers dans les champs – plats – de Maïs ; fusils à foison ; pays de chasses, pas toujours furtives, et de virils mâles en treillis, taiseux à n’y pas croire. Le pire reste à venir, d’une heure à l’autre (le récit est scandé d’un curieux et angoissant calendrier « 15h42, Bois des Huettes… ») au fond de ces fermes rudes, où roulent comme orages en été des secrets de villages : « les Girard et les Martin, c’est chiens et chats. Déjà, du temps de son père, ils ne pouvaient pas se voir. On ne sait pas trop pourquoi, d’ailleurs. Une histoire de cadastre au pré de la Coualle, je crois – oui, enfin, c’est surtout à cause de la Micheline ! ». Car, secrets de familles, aussi ; à grosses louches d’une justesse bien rustique : qui est, par exemple, la fille de qui ? On conviendra que le théâtre est prêt pour un drame rural, serré, comme le « p’tit noir » du troquet, qui en remontrerait au final, à un grand noir américain – un James Ellroy, pourquoi pas… On devine, et le rideau peut s’ouvrir. Mauvaise pioche ! Pierric Guittaut est berrichon, de ces landes aux « mares au diable » qui affichent leurs sorciers. Rien ne risque d’être aussi simple.
Du coup, si, derrière ces familles paysannes, dont le maillage manque à l’évidence d’étanchéité mais pas de personnalité (le vieil Hippolyte, ou une attachante Virginie, risquent de bloquer vos préférences) ; si – en fond d’écran obsédant, dont la musique roule, menaçante, dès l’entame – la psyché profonde du clerc de notaire, comme on dit à la ville, chez les psy, était, au fond, le vrai sujet de ce livre à recoins et à secrets ?
Lisez ; vous risquez de ne pas le regretter, et d’avoir du mal à vous endormir…
Martine L Petauton
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