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L’œuvre poétique I, Sundgäu, Nathan Katz (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 23.08.21 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

L’œuvre poétique I, Sundgäu, Nathan Katz, éd. Arfuyen, mai 2021, trad. allemand, Théophane Bruchlen, Collectif, 276 pages, 19,50 €

L’œuvre poétique I, Sundgäu, Nathan Katz (par Didier Ayres)

 

Erlkönig

Cette traduction de Nathan Katz des éditions Arfuyen peut se prévaloir de deux simples mots, tirés des vertus théologales : la foi et l’espoir. Qualités morales non pas strictement en relation avec une religion, mais plutôt portées vers la hantise des disparus, soldats, paysans, dans des révoltes, des combats sociaux. Le poète prie pour le salut de leur âme, et voit une résurrection possible au moins par le poème. Il pourrait revendiquer la force de la foi (laquelle demandée à la divinité est capable de déplacer des montagnes). J’ai dit force et je dis aussi espoir. Cette force sensible, bien souvent au travers de cette poésie, s’apparente à un espoir extraordinaire dans la capacité de faire revenir les Lazare de 1914/18 à la vie. Propos de résurrection. Propos de paix. Propos d’Apocalypse. Espoir presque sacré.

Dans cet exil en France intérieure, Katz pratique une langue alémanique, ce qui est un vrai exil pour lui, si loin de l’Alsace. Cette Alsace est représentée dans son caractère paysan, monde idyllique, retour aux sources, paysages aimés. Cela ajoute à son désespoir, celui essentiellement en lien avec les charniers de la première guerre mondiale. Bien souvent, j’ai pensé que l’alémanique tel que l’emploie le poète alsacien, a des accents particuliers pour dire l’horreur et l’angoisse des apocalypses de la grande guerre – avec une vision prémonitoire des brutalités qui vont être exercées dans les camps d’extermination ou la décimation des juifs par balles. Il semble certain que les poèmes consacrés aux terreurs de la guerre se prêtent bien à la comparaison avec les peintres expressionnistes, eux aussi marqués par le sceau brûlant des massacres. Il y a autant de Dix, de Grosz, de Meidner, dans cette poésie, qu’il y a d’expressions d’horreur des tranchées et de ces boucheries (les fameuses gueules cassées). Pour tout dire, je crois que l’on va du charnier à la cathédrale, et peut-être la cathédrale est-elle construite sur un charnier ; charnier physique des corps détruits, et cathédrales du poème, du tableau.

 

Ah ! où trouver un soutien

Quand tout se décompose ?

Où trouver une planche de salut ?

 

J’ai pensé à deux reprises au Erlkönig de Schubert. Rattacher Katz à la culture allemande me semble possible. Quoi qu’il en soit, pour contrebalancer cette poésie noire, le poète écrit aussi des sortes de ritournelles, de petits poèmes joliment chantants. Légèreté donc. Là également il y a, je pense, une trace de l’exil. Être loin de l’Alsace, c’est aussi être loin de son enfance. Écrire en alémanique, c’est vouloir revenir en Alémanie, imageant de cette manière la réintégration dans la personne de l’auteur. Peut-être le chant ou la romance fait-elle suffisamment d’effet pour rendre la personne de Katz à son intégrité, à sa consubstantialité profonde, qui en passerait par l’identité ? Ce que je peux ajouter depuis cette question, c’est que le style est ici sobre, dans la mesure où il se développe sans métaphore, avec très peu de figures de comparaison. Est-ce un empêchement ? Probablement. Or jouant un rôle créateur de première importance.

Monde germanique, ou univers culturel belge comme avec les pièces symbolistes de Maeterlinck. Belgique elle aussi déchirée par les langues. Et surtout, une poésie engagée. Contre les injustices, les guerres, la brutalité des répressions, engagement plus humaniste que politique (la politique étant souvent organisée par des modes, des slogans) ; donc c’est l’universalité de ses propos qui nous reste en tête.

Je voudrais quand même revenir sur ce beau poème Neige. Pour moi, là est la clé de l’œuvre. La neige couvre tout, hommes et maisons, pour repousser tout ce qui gêne dans le silence, qui conduit vers des beautés silencieuses, assourdit la pensée, dessine en blanc la forme du monde. Par elle-même, la neige est énigme (on ne peut faire un catalogue des formes que prennent les flocons tant ils sont divers). Le langage poétique est de cette espèce, un tapis immaculé et hivernal, poésie qui cherche le pur instant de l’extase.

 

Maintenant la neige tombe

sans bruit

sur les granges et les remises

sur les bois et les champs

sur les croix et les tombes

et, tout recouvert de blanc

– tout –

tous les chemins, tous les cimetières

le village tout entier

est pris sous l’abondante neige

C’est le silence qui va régner

maintenant – et, la tranquillité

Seules nous attendent les veillées maintenant.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.