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L’intégrisme hideux au nom de la Palestine, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 10.02.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

L’intégrisme hideux au nom de la Palestine, par Kamel Daoud

 

Existe-t-il un intégrisme de la « cause palestinienne » ? Oui. A distinguer de la Palestine et de ses drames. Le second est un pays volé. Le premier est une sorte de religion, lobbys, catalogues d’insultes, myopies, lâchetés, sous couvert de gauche ou d’engagement ou d’islamisme ou de solidarité. L’intégrisme de la cause palestinienne ressemble d’ailleurs à l’idéologie sioniste : il fonctionne par lobbys, par exclusion, par violence et par sournoiserie et par le monopole et la propagande. Le sioniste vous accuse d’être anti-israélien dès que vous êtes contre lui. L’intégrisme de « la cause palestinienne » vous accuse d’être à la solde des juifs, de viser la visibilité ou d’être naïf dès que vous pensez autrement que sa doxa et ses meutes.

Ensuite ? Comme tous les intégrismes, il est aveugle. Il a sa hiérarchie : en bas, les insulteurs. Ceux qui « veulent libérer » la Palestine par la langue, en insultant à partir de Lille ou de Londres « le traître » qui ne collectionne par les affects, les photos des enfants de Gaza et qui ne s’émeut pas comme un ver dans un bocal en brûlant un drapeau ou en crachant sur du Juif.

Au milieu, les « religieux ». Tièdes enfants du baathisme scolaire et de l’islamisme bigot, ou violents imamisés. Un type qui, en général, ne comprend pas que l’on veuille présenter la tragédie palestinienne comme une tragédie humaine : ce sont des Juifs ! crie-t-il. Si tu penses autrement que nous, tu es avec eux. Tu n’es pas musulman si tu n’es pas anti-juif. Tu es un collaborateur, un harki d’Allah ou fourbe qui veut plaire à l’Occident.

En haut, les intellectuels. D’abord les vieux progressistes arabes, un peu aigris, un peu déçus, profondément hésitants. Enfermés dans leur bonne foi, ils confondent foi et analyse : le soutien à la Palestine doit être inconditionnel, sans analyse ni esprit critique, en package et avec une sorte de droit d’aînesse condescendant. Penser autrement, c’est penser mal et se tromper, toujours. A côté, il y a les autres : les intellectuels de l’affect. Ceux qui pensent bien, sauf sur ce point obscur de leur affect : la cause palestinienne. Du coup, une remarquable capacité d’analyse quant aux affaires du reste du monde cède ici à une sorte de devoir d’hallali sacré que l’on reconduit et étale à chaque bombardement des « territoires ». Avant de retomber comme des brindilles de thé dans un café « arabe ».

En gros, comme pour tout intégrisme, la « cause » palestinienne est surtout un affect. Aveuglant, terrible, monstrueux et vide, impuissant, nul et confortable. Si vous dites que vous refusez la « solidarité » assise, sélective et myope, et que vous lui préférez la solution de pays forts, économies puissantes capables de peser sur les décisions internationales, on vous insulte. Si vous dites que la cause palestinienne n’est pas un monopole identitaire ou religieux, on vous insulte. Si vous dites que justement c’est un drame dont est responsable toute l’humanité et pas une caste de baathistes ou d’islamistes ou d’identitaires, on vous insulte. Et si vous ajoutez que ce n’est pas une guerre sainte mais une décolonisation et que la haine du juif dégrade l’homme qui la porte et salit la « cause palestinienne », on se déchaîne : vous visez des « prix », on vous paye à Tel-Aviv, vous êtes un « sale juif », un mercenaire, vous n’avez rien compris. Le déchaînement de ce lobby est aussi virulent que celui des sionistes sur celui qui remet en question leur idéologie au nom des intérêts d’Israël, justement. Mêmes méthodes : exclusion, embargo et attaques chiennes.

Et cet intégrisme, comme ses frères aînés, ne lit pas ce que vous écrivez, ne pense pas, ne regarde pas et ne se remet pas en question : il est la vérité. Donc, tout le reste est trahison. Il ne lit que ce qu’il veut croire pour assouvir ses violences. D’ailleurs, « la cause palestinienne » sert à tout dans le monde dit « arabe », sauf à secourir les Palestiniens. On vous sort les photos des enfants mutilés de Gaza, on vous hurle au visage et on crie à la trahison : c’est le package « solidarité », version bronzage laïc et accroupi/islamiste. Puis on rentre chez soi, en attendant le prochain bombardement. Vous vous retrouvez alors seul, sur la colline de votre humilité, à essayer de comprendre, de penser, d’analyser les raisons de cette impuissance à secourir l’homme ou à le réveiller à sa raison. Seul à vouloir regarder au-delà de l’affect et vouloir rassembler les mots justes pour expliquer aux « solidaires intermittents » qu’il ne s’agit pas de s’émouvoir, de lapider et de hurler, mais de restaurer, penser et dépasser le Moyen-Âge.

« Un sac vide ne tient pas debout », a dit un président américain à propos de la nécessité d’avoir un pays puissant et riche. Mais chez nous, dans ce vaseux monde « arabe », ce sac insulte, brûle des drapeaux, hurle, prie, pleurniche puis s’affaisse. On voudrait vous le mettre sur la tête pour vous tuer, vous étouffer et vous empêcher de parler.

Terrible époque : les intégrismes sont devenus une religion commune à toutes les religions.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015