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L'énergie spirituelle, Henri Bergson

Ecrit par Sophie Galabru 23.02.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais

L'énergie spirituelle, Editions PUF, 540 p. 18,30 €

Ecrivain(s): Henri Bergson

L'énergie spirituelle, Henri Bergson

 

Premier recueil d'essais et de conférences paru en 1919 bien avant ce qui sera sa quatrième et dernière œuvre majeure, les Deux sources de la morale et de la religion (1932)LEnergie spirituelle est l’occasion pour Bergson d’intégrer plusieurs démarches : philosophique, psychologique, métaphysique, scientifique, biologique. Le recueil qui tend nettement à condenser les recherches des ouvrages précédents, notamment Matière mémoire et L'Evolution créatrice, nous place d'emblée dans le refus de la thèse du parallélisme psycho-physique. Cette thèse considère en effet qu'à tout état mental ou psychique correspond un état cérébral. Bergson s'oppose à toute recherche neuro-biologique qui ne peut que décrire des mouvements moléculaires et cérébraux sans pouvoir expliquer des opérations de la conscience, comme la pensée, le rêve, ou l'interprétation. Ainsi, ces sept conférences sont dominées par le grand problème métaphysique de l'union de l'âme et du corps, et par sa récupération scientifique. Les conférences La conscience et la vie, L'âme et le corps, Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique explicitent la critique bergsonienne de cette théorie, notamment grâce aux analyses du rêve, de la fausse reconnaissance, du déjà vu, et de l'effort intellectuel.

C'est selon l'expression paradoxale de « métaphysique positive » que Bergson propose d'avancer dans la compréhension de la réalité de l'esprit et de la matière ainsi que de leur relation. Cette approche minutieuse et détaillée des faits, de leurs contours, propose d'aller jusqu'au bout des tendances observées dans l'expérience pour retrouver la nature profonde de ce qui est. Pour Bergson, la conscience est ainsi ce qui est essentiellement rétention du passé, appréhension de l'avenir, « attention à la vie », et qui peut se trouver chez tous les êtres vivants à des degrés divers. La conscience n'est donc pas nécessairement dépendante d'un cerveau, et si elle lui est liée, ce n'est pas en tant qu'il est son équivalent matériel. Le cerveau aide la conscience, mais non pas sur le mode de la traduction, mais de l’extériorisation et de l’insertion dans la réalité concrète, la matière. Chez l'homme, le cerveau lui permet ainsi de différer ses réactions, de les choisir, il devient organe de retardement, et finalement organe de choix, afin que la conscience puisse pleinement s'épanouir dans la réflexion et la sélection. La conscience est cette énergie spirituelle qui traverse la matière en tentant d'y insérer le maximum de liberté.

Il en va de même pour l'évolution de la vie qui sera l'histoire d'un élan vital lancé à travers la matière et créant au cours de sa progression, selon les obstacles rencontrés, des formes nouvelles d'espèces vivantes. Dialoguant avec les disciplines nouvelles du XIX ème siècle telle que la paléontologie, la biologie, la génétique, Bergson considère que l'évolution de la vie ne s'explique pas seulement par l'hypothèse bien connue du darwinisme selon laquelle les formes vivantes se sont créées ou modifiées selon l'adaptation au milieu. Car après tout, si un organisme rudimentaire est aussi bien adapté que nous, pourquoi la vie aurait-elle pris la peine de se compliquer ? La présence d'organes et de structures similaires sur des lignes d'évolution et des espèces totalement différentes, vivant dans des milieux divers, implique une explication plus profonde que Bergson a livrée dans l'Evolution créatrice et qu'il résume dans la première de ces conférences, La conscience et la vie.

Penser le rapport de l’esprit et de la matière implique de penser ce rapport comme un fait d’expérience. Quant à la thèse du parallélisme de l'esprit et du corps, elle n'est pour Bergson que le résultat d'une métaphysique parmi d'autres. Rien de cette hypothèse neuro-biologique n'est prouvée et celui qui observe les mouvements d'atomes à l'intérieur du cerveau ne peut pas prétendre que tout mouvement de l'âme y est réductible ou traduisible ainsi. Ce n'est qu'un ensemble de mouvements qui ne délivre pas le texte joué de la conscience. Le cerveau produit les mouvements nécessaires pour que la conscience puisse s’inscrire dans la matière et s'extérioriser.

Le cerveau n'est donc pas le magasin des souvenirs, il n'est pas une machine à imprimer chaque détail, autrement nous ne pourrions comprendre ce qui caractérise la conscience : la plasticité , l'interprétation, la réutilisation des données dans des contextes divers. Nous n’imprimons pas tel quel un mot entendu dans une phrase, mais nous le mémorisons en visant le sens qu'il détient. Ceci afin de pouvoir le re-mobiliser dans des situations nouvelles ou différenciées. Ce débordement de la conscience sur le cerveau, sur le corps trouvera un aboutissement quasi para-psychique dans la conférence Fantômes de vivants avec les phénomènes de télépathie et communication des consciences.

Dans le Rêve nous découvrons tout l'envers de l'étude de la perception comme adaptation à l'action, et du cerveau comme attention et adaptation à la vie. Dans le rêve, nul besoin d’agir : nous assistons à la détente de l'esprit qui laisse émerger toutes les perceptions refoulées durant l’attention.

Dans ces conférences Bergson résume ainsi ses ouvrages Matière et Mémoire, lEvolution créatrice, sans oublier les acquis de l'Essai sur les données immédiates de la conscience, dont le point focal sera de dénoncer l' illusion métaphysique majeure du dualisme et du parallélisme psycho-physique, afin d'y substituer une métaphysique positive, c'est-à-dire une recherche appuyée de l'observation minutieuse des faits. La conscience considérée comme mémoire et le cerveau comme organe de ce qui nous adapte à la vie permet d’avancer l'idée originale que l'homme conscient, l'homme d'action est en réalité un rêveur empêché et remis sur le droit chemin de la vie « qu'il faut bien vivre ».

 

Sophie Galabru

 


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A propos de l'écrivain

Henri Bergson

 

Henri Bergson (1859-1941) est philosophe français. Il a publié quatre principaux ouvrages : d’abord en 1889, l’Essai sur les données immédiates de la conscience, ensuite en 1896 Matière et Mémoire, en 1907, L’Evolution créatrice et enfin en 1932 Les Deux sources de la morale et de la religion.

 


A propos du rédacteur

Sophie Galabru

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Rédactrice

Sophie Galabru est agrégée et docteure en philosophie. Ses recherches portent notamment sur la phénoménologie (en particulier l’œuvre d’Emmanuel Levinas), la philosophie du temps et de la narration.