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L’avant-scène théâtre : la trace écrite du théâtre vivant

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) 04.12.14 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

L’avant-scène théâtre : la trace écrite du théâtre vivant

Après une longue période de direction de Robert Chandeau et Jacques Charrière, Christian Dupeyron leur succède, rejoint ensuite par Bernard Loiseau puis Élie Schulmann. Danielle Dumas prend alors les rênes de L’avant-scène théâtre en 1986, jusqu’en 2001, mais reste Rédactrice en chef jusqu’en 2004, date à laquelle le critique dramatique et directeur de journaux Philippe Tesson reprend la revue. Il imagine alors une nouvelle formule en poursuivant plus que jamais sa vocation d’accompagner le théâtre de son temps.

 

Marc Michiels pour Le Mot et la Chose a donné la parole à Olivier Celik, Directeur délégué, Rédacteur en chef, et Violaine Bouchard, Secrétaire de rédaction.

Lever de rideau !

 

Le Mot et la Chose : Olivier, qu’est-ce qui vous a mené dans votre parcours à occuper les fonctions de Directeur délégué et Rédacteur en chef et comment voyez-vous l’évolution du métier, notamment dans l’univers théâtral ?

Olivier Celik : Je suis devenu Directeur délégué de L’avant-scène théâtre à 28 ans. J’achevais alors des études de troisième cycle de Philosophie tout en exerçant en parallèle des activités professionnelles. Or, je ne souhaitais pas me diriger vers une carrière d’enseignant. J’hésitais entre le journalisme – que j’avais pu expérimenter au Figaro ou dans quelques revues culturelles – et l’édition – j’ai travaillé à la publication des quelques ouvrages de la Fondation Cartier pour l’art contemporain. L’avant-scène théâtre, qui est à la fois une publication de presse en lien très fort avec l’actualité dramatique et une maison d’édition, était justement à la croisée de ces deux tropismes. C’est ensuite la rencontre avec le journaliste Philippe Tesson, qui cherchait à renouveler son équipe pour donner un nouvel élan à la maison et à sa ligne éditoriale, qui a été déterminante. Il a pris le risque – rare – de confier les rênes d’une maison chargée d’une forte histoire à deux jeunes directeurs : Anne-Claire Boumendil et moi-même. Quelques mois d’apprentissage ont été nécessaires pour assimiler l’identité de la maison, connaître en profondeur son fonds et son lectorat… Il a aussi fallu, sur le terrain, se familiariser avec la gestion d’une entreprise indépendante et imposer des changements éditoriaux, organisationnels et économiques nécessaires et parfois douloureux. Ces réformes passées, il devenait indispensable de réfléchir à l’avenir de la maison, et, plus largement, à celui de l’édition théâtrale. De nouvelles collections ont été créées, des partenariats noués avec des théâtres, des metteurs en scène ou des institutions, afin de renforcer le lien organique entre L’avant-scène théâtre et la création dramatique, dans toute sa diversité. Nous nous sommes également beaucoup investis pour proposer aux milieux éducatifs des outils leur permettant de renouveler leur regard sur le texte de théâtre. Car, il existe en matière d’édition théâtrale un certain paradoxe. D’un côté, il y a une lente mais réelle érosion du lectorat traditionnel, qui s’explique par le fait que le théâtre occupe une place sociale moins importante que par le passé, et par le fait que le domaine du livre en général ne se porte pas toujours très bien, que ce soit chez les éditeurs comme chez les libraires. Mais de l’autre côté, il y a une demande de plus en plus forte des jeunes étudiants pour les études théâtrales, à l’université comme dans les collèges et lycées, qui développent des options théâtre ou des ateliers. Les programmes officiels de l’Éducation nationale invitent même les enseignants à se servir du texte dramatique comme d’un outil pédagogique d’apprentissage de la langue, en privilégiant le travail sur les liens éclairants qu’il existe entre un texte et sa représentation… Il y a donc un sillon à creuser, et si l’on veut entretenir un lectorat fidèle qui ose lire du théâtre, avec la gymnastique que ce type d’écriture requiert, il faut plus que jamais que les livres de théâtre participent à ce qu’on pourrait appeler « une école du spectateur ». C’est en cultivant très jeune un lien avec le théâtre que les enfants fréquenteront les salles plus tard, et qu’ils liront des livres d’art dramatique. Une autre donnée est à prendre en compte : même si le théâtre connaît quelques crises, esthétiques ou structurelles, il n’en demeure pas moins une activité essentielle, primaire en quelque sorte, et je crois que subsistera longtemps ce processus vieux comme le monde qui réunit, le temps d’une représentation, une assemblée vivante face à des acteurs vivants. Reste aux éditeurs à s’adapter aux nouvelles manières qu’auront les gens de vouloir lire le théâtre. Mais ce n’est pas certain que cela passe par l’édition électronique par exemple. Je crois encore beaucoup à la relation physique entre le livre et le lecteur…

 

MC : Comment s’organise l’enrichissement des différentes collections et quelles sont leurs spécificités ?

 

Violaine Bouchard : La première et sans doute la plus connue des parutions n’est pas une collection à proprement parler, c’est une revue bimensuelle – L’avant-scène théâtre – qui existe depuis 1949 et a donné son nom à la maison. Elle est ancrée dans l’actualité théâtrale et publie des pièces à l’affiche, issues tant du répertoire privé que public, accompagnées d’un dossier sur la pièce, l’auteur et la mise en scène, et suivies d’une partie consacrée à l’actualité théâtrale. L’Anthologie de L’avant-scène théâtre est une collection de référence et l’unique ouvrage consacré à l’histoire du théâtre de langue française et à sa mise en scène, dont le dernier tome, consacré au Moyen-âge et à la Renaissance, est paru en octobre 2014. Parallèlement, la collection des Quatre-vents s’attache à faire connaître les nouvelles écritures théâtrales. L’avant-scène publie également les Nouveaux Cahiers et les Petites Formes de la Comédie-Française, ainsi que des beaux livres et des programmes documentés et illustrés pour différents théâtres.

 

OC : Il est rapidement devenu évident que les deux collections historiques de L’avant-scène théâtre – la revue et la collection des Quatre-vents – ne permettaient pas de répondre de manière satisfaisante à la demande de certains lecteurs et à l’offre en matière de projets éditoriaux. Toutes nos nouvelles collections sont donc nées d’un double besoin, qu’il a fallu chaque fois identifier. Le partenariat de long terme avec la Comédie-Française illustre la manière dont les grandes institutions ont compris qu’elles avaient une mission patrimoniale et de découverte : dans ces deux domaines. La publication du texte de théâtre est un atout formidable car il est finalement le vecteur de transmission et de communication le plus efficace de l’expérience dramatique, davantage que la vidéo qui est davantage un document historique. Le développement de collections fondées sur le commentaire théâtral (comme l’Anthologie) répond à un besoin de renouvellement des études théâtrales et de la perception du passé en la matière. Nous sommes encore, globalement, les héritiers de traditions dix-neuvièmistes en matière d’histoire et de classification du texte. La recherche contemporaine a, quant à elle, remis en question des distinctions artificielles trop commodes. Ces ouvrages en sont le reflet. Ceci est d’autant plus important que le théâtre d’aujourd’hui est lui aussi dans une démarche d’hybridation avec les autres arts (danses, performance, vidéo) et qu’il faut un cadre conceptuel plus adapté pour le penser.

 

MC : Quelle est la ligne éditoriale des nouvelles parutions, tant au niveau des ouvrages que du catalogue ? Comment est « reçu », discuté un manuscrit par le comité de lecture ?

 

VB : Tant pour les pièces publiées par la revue que par la collection des Quatre-vents, la qualité littéraire d’une œuvre n’est pas la seule valeur prise en compte. La spécificité de l’édition théâtrale est qu’elle s’attache aussi à la théâtralité des textes. Il faut pouvoir les projeter sur une scène, car ces textes sont avant tout destinés à être vus et entendus. Certains ont déjà bénéficié d’une mise en scène à leur parution, d’autres sont en cours, d’autres encore à venir. Le comité de lecture est constitué de professionnels du théâtre, éditeurs et critiques, qui ont à la fois une position de lecteurs et de spectateurs.

 

OC : S’agissant du catalogue, il est nécessaire de faire en sorte que certains titres soient toujours disponibles. Par son ancienneté et le nombre important de publications annuelles (près de cinquante en 2014), la maison a la chance d’avoir un catalogue très fourni. La spécificité de l’édition théâtrale peut faire qu’un titre, parce qu’il est repris par des troupes professionnelles, amateurs ou qu’il est étudié en classe, se remet à se vendre alors que ses ventes étaient faibles les années précédentes. Il y a, pour la plupart des titres, des phases d’intérêt ou de désintérêt. Mais, il y a en tous cas un mouvement permanent qui nous impose de garder le plus possible de titres sur la marché. S’agissant des nouvelles parutions, il faut en effet toujours avoir à l’esprit que l’édition théâtrale n’est pas la fin d’un processus mais bien le début : le texte édité doit être jouable, désirable par l’acteur ou le metteur en scène. C’est du plateau qu’il reçoit son achèvement. Et tant mieux si chaque spectacle donne au même texte une couleur différente !

 

MC : Comment se traduit votre relation avec les auteurs ?

 

OC : La relation avec les auteurs, comme dans toute maison d’édition, est fondée sur la confiance réciproque. Notre rôle est d’encourager, de conseiller, de refuser ou d’accepter. Ce n’est jamais facile, car la relation d’un éditeur au texte est nécessairement moins passionnelle que celle qui le lie à son auteur. Mais ce recul est fondamental. Il n’est d’ailleurs qu’une première épreuve pour l’auteur ! Car lors des répétitions d’un spectacle, il y a parfois des adaptations douloureuses, en général justifiées… Nous essayons d’être très présents auprès des auteurs dans l’établissement du texte publié. Nous avons la réputation d’être très attentifs à cela, et les auteurs nous en sont très reconnaissants, quand bien même cela occasionnerait quelques tensions en cours de route !

 

VB : Je suis à la fois Secrétaire de rédaction, avec un rôle classique de relecture, de correction, de mise en page et d’illustration des articles pour la revue, et assistante d’édition, avec un travail éditorial de fonds auprès des auteurs ou adaptateurs des pièces. Le travail en commun va de la finalisation du texte manuscrit (sur la forme mais aussi parfois beaucoup plus en amont sur le fond), à la correction et à l’élaboration de l’ouvrage, de la conception du livre à son impression. Pour la revue, les interlocuteurs ne sont pas seulement les auteurs, mais aussi les metteurs en scène et les comédiens, pour les parties biographiques et les entretiens, ainsi que les photographes en charge du reportage photo de la pièce, de la couverture, etc. Les tâches sont très diversifiées et c’est ce qui fait la richesse de ce métier !

 

MC : L’avant-scène théâtre est en partenariat avec la Comédie-Française, le Centre national du livre, l’Association Beaumarchais et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Comment L’avant-scène théâtre interagit-elle avec ces acteurs majeurs et qu’en retire-t-elle ?

 

OC : Derrière le terme de partenariat se cachent des réalités très différentes. Disons que des institutions comme le CNL, la SACD et l’Association Beaumarchais participent, sous forme de soutiens financiers, à la publication de certains ouvrages qui, par leur ambition, peuvent s’avérer délicats à réaliser. Mais, ces aides ne représentent qu’une part minime des recettes de la maison, ce qui est à mes yeux une bonne chose. Le contraire serait dangereux et le signe d’un grave problème éditorial et commercial. Avec la Comédie-Française, le partenariat va plus loin, puisqu’il y a une véritable collaboration éditoriale. En ce qui concerne la communication, nous travaillons le plus possible à faire connaître nos parutions (site internet, mailings), et cela nous est facilité par le fait que la plupart des pièces que nous éditons sont à l’affiche. Notre réseau de libraires – spécialisés ou non – est très fidèle et participe à sa manière à la promotion des ouvrages en les conseillant à leurs clients. Enfin, nous avons la chance d’avoir de nombreux abonnés à la revue, qui, de ce fait, sont tenus régulièrement informés de nos nouveautés.

 

Entretien réalisé par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose

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A propos du rédacteur

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Né en 1967, Marc Michiels est un auteur de poésie visuelle. Passionné de photographie, de peinture et amoureux infatigable de la culture japonaise, il aime jouer avec les mots, les images et la lumière. Chacun de ses textes invitent au voyage, soit intérieur à la recherche du « qui » et du « Je par le jeu », soit physique entre la France et le Japon. Il a collaboré à différents ouvrages historiques ou artistiques en tant que photographe et est l’auteur de trois recueils de poésies : Aux passions joyeuses (Ed. Ragage, 2009), Aux doigts de bulles (Ed. Ragage, 2010) et Poésie’s (2005-2013). Il travaille actuellement sur un nouveau projet d’écriture baptisé Ailleurs qui s’oriente sur la persévérance du désir, dans l’expérience du « pardon », où les figures et les sentiments dialoguent dans une poétique de l’itinéraire.