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Jean Giraudoux : Théâtre complet en la Pléiade

Ecrit par Matthieu Gosztola 15.11.14 dans La Une Livres, La Pléiade Gallimard, Les Livres, Critiques, Théâtre

Jean Giraudoux : Théâtre complet, nouvelle édition, collection de la Pléiade 1993

Ecrivain(s): Jean Giraudoux Edition: La Pléiade Gallimard

Jean Giraudoux : Théâtre complet en la Pléiade

BIEN DAVANTAGE : Jean Giraudoux

 

Au Salon de 1739, Bouchardon exposa un modèle en terre cuite de « L’Amour qui, avec les armes de Mars, se fait un arc de la massue d’Hercule. Fier de sa puissance, et s’applaudissant d’avoir désarmé deux divinitez si redoutables, le fils de Vénus témoigne, par un ris malin, la satisfaction qu’il ressent de tout le mal qu’il va causer ». L’œuvre lui fut commandée par le directeur des Bâtiments du roi, Philibert Orry, en compensation de l’abandon de l’exécution en marbre d’une statue de Louis XIV, dont le modèle en plâtre fut détruit. Bouchardon présenta au Salon de 1746 un nouveau modèle, en plâtre, expliquant dans le livret que celui de 1739 « n’était qu’un premier travail, qui ne donnait que la pensée. Le modèle qu’on expose aujourd’hui est plus épuré, tout y est arrêté et fait d’après nature, et c’est sur ce modèle que la statue, de grandeur naturelle, s’exécute en marbre pour le Roy ». Libéré après l’achèvement de la fontaine de la rue de Grenelle en 1745, le sculpteur put en effet reprendre son projet. La perte de cette terre cuite de 1739 – que l’on ne peut absolument pas identifier avec les médiocres petites réductions non autographes des musées de Bayonne et de Lille – ne nous permet malheureusement pas de nous représenter l’aspect de ce « premier travail ».

L’œuvre de Giraudoux (en laquelle se lit toujours quelque chose de la quête & quelque chose de l’amour & quelque chose de l’incompréhension & du désordre & de la violence & quelque chose de la noblesse du cœur & des âmes qui sont des vœux : de pleines présences – et toujours des âmes – lorsque la lumière les a exhaussées & quelque chose des légendes vraies de la mythologie qui font notre sang plus rouge, notre respiration plus ample, notre secret plus vaste, notre souhait plus intemporel), cette œuvre magnifique est l’inverse d’un premier travail, et pourtant elle conserve en elle le sourire de fragilité des choses appartenant à la beauté : lys ; nénuphars posés dans le tremblement quasi imperceptible de l’eau ; feuilles serties de rosée, dans l’ombre finissante, serties pour l’ombre, pour personne…

L’œuvre tellement aboutie de Giraudoux garde sauve en elle, sauve et frémissante, la fragilité de la terre cuite de Bouchardon ; humaine fragilité (car cette terre cuite appartient à la disparition) qui fait sortir nos vies de leurs habitudes pour ensuite qu’elles – délicatement* – se posent sur les craquelures de la terre,

ces déserts respirants,

à perte de vue,

lorsque l’on prend vraiment

le temps de voyager,

nous poser là, chacune, chacun, afin que nous considérions le vœu du monde, qui est de nous contenir, de nous contenir pour nous faire respirer. Comme une bouche amie peut épouser une bouche aimée.

Pour nous le faire comprendre, ce bref et lacunaire dictionnaire, avec des moments de Giraudoux empruntés à l’œuvre complète (pièces et proses).

· Absence

Ce grand silence, cette grande absence ne t’atteint pas ?

 

· Attendre

– Il m’a dit aussi que si je vous embrassais, j’étais perdue… Il a eu tort… Je ne pensais pas à vous embrasser.

– Maintenant, tu y penses ?

– J’y pense éperdument.

– Penses-y de loin.

– […] Vous serez embrassé dès ce soir… Mais il est si doux d’attendre… Nous nous rappellerons cette heure-là, plus tard… C’est l’heure où vous ne m’avez pas embrassée…

– Ma petite Ondine…

– C’est l’heure aussi où vous ne m’avez pas dit que vous m’aimiez… N’attendez plus… Dites-le moi… Je suis là, les mains tremblantes… Dites-le-moi.

– Tu penses que cela se dit comme cela, qu’on s’aime ?…

 

· Caresse

Rarement dans cette province la caresse donnée par le climat aux arbres, aux oiseaux avait été aussi prolongée et si douce.

 

· Corps

Ce que disait sa parole n’était pas si différent de ce que disait son corps.

 

· Couronnement

Cette corbeille de mots maternels, ce faix des premières sonates entendues, des premiers opéras, des premières entrevues avec la lune, les fleurs, l’océan, la forêt, dont je vous vois couronnée […]

 

· Disparaître

– Et moi, que ferai-je ?

– Les jours où la compagnie des hommes m’aurait excédée, je vous verrais apparaître, silencieux ; vous vous assiériez, très calme sur le pied de mon divan […] – et soudain vous disparaîtriez… Vous auriez été là ! Vous comprenez ?

 

· Face à face

C’est magnifique, l’amour […]. On ne se quitte jamais, paraît-il. On ne s’est pas plus tôt séparé, paraît-il, qu’on revient en courant, qu’on s’agrippe par les mains. Où qu’on aille, on se retrouve aussitôt face à face. La terre est ronde pour ceux qui s’aiment.

 

· Médaillon

C’est magnifique, la royauté […]. Les jeunes filles dans les parcs royaux qui donnent du pain au cygne, cependant que de leur blouse pend le médaillon du roi Oreste, qu’elles embrassent à la dérobée.

 

· Mourir

Si tu meurs, […] / La beauté mourra avec toi, / Mon seul amour…

 

· Ombres

Elle savait tellement par cœur le jeu des ombres !

 

· Plaire (se)

[…] me plaire dans ses bras…

 

· Regard

Regarde le gonflement de ma robe à la gorge et sa cambrure aux reins, et son pli dans le vent aux jambes. Regarde mes jambes. Regarde ce que personne n’a vu.

 

· Rose

[…] circuler une rose à la main. Voyez, elle tient même la main ouverte, j’ai enfoncé dans mon index les épines de sa tige, et elle tient, la goutte de sang qui coule est de sa couleur ; voilà pourquoi l’ange l’a voulue rouge, et non jaune, et non chaudron […]

 

· Ruisseau (à méandre)

Quel étrange amour est le nôtre ! Il est des sources au pied des platanes, il est tout ce dont je rêvais fiancée, il est des vallons, des bocages, des ruisseaux à méandres.

 

· Ruisseau (le premier)

– Mais où pourrais-je vous trouver, si j’avais à vous consulter ?

– En suivant le premier ruisseau.

 

· Séparation

Leurs traces ne se mêlaient pas, et si un chasseur les eût suivies, il n’aurait jamais vu leurs pistes que séparées et distinctes.

 

· Solitude

– On t’a vue monter à cheval avec lui, danser avec lui ?

– On m’a vue danser avec lui, rire avec lui. Mais l’on ne m’a pas vue, car nous recherchions pour cela la solitude ou l’ombre […]

 

· Totalité

De tous ses reflets, de tous ses froissements, de tout son éclat, il était […] auprès de moi […]

 

· Tristesse

Si cela doit vous égayer particulièrement vous aussi, je veux bien. Tout en vous certes est sourire, douceur, gaieté même. Mais au-dessus de tous ces exercices funèbres dont je vous donne la parade, vous tendez poliment je ne sais quel filet de tristesse. Je m’y laisse rebondir.

 

· Univers

Quand une femme entre pour la première fois dans l’amour, […] elle croit […] pénétrer dans le cœur du secret. Elle se croit isolée dans un jardin ou un enfer, cachée dans un souterrain, élevée dans un ciel. C’est juste le contraire. Elle est entrée dans un palace d’où elle est vue de l’univers, dont les murs, les plafonds sont tendus de mille miroirs qui renvoient ses moindres gestes, dont la résonance est telle que jusqu’à ses soupirs éclatent.

 

Au Salon de 1739,

Bouchardon exposa

un modèle

en terre cuite

de « L’Amour […] ».

les mirabelles (cueillies)…

l’odeur…

des fruits…

tombés…

à terre…

l’odeur…

des confitures…

qui cuisent…

doucement…

(Et Giraudoux a vu

la beauté devenir

 

plus belle,

en accompagnant

 

sur la terre

le doux murmure

 

d’une lumière,

l’accompagnant

 

dans sa croissance,

dans la croissance

 

de sa vérité).

Un murmure qui,

 

ayant figure humaine

et de fervente beauté

 

(avec un visage

d’une pureté oraculaire),

 

est bien davantage

qu’un effet du soleil.

 

« […] grâce à un effet de soleil,

[…] prendre une partie

 

plus sombre de la mer

pour une côte éloignée,

 

ou […] regarder

avec joie

 

une zone bleue

et fluide

 

sans savoir

si elle appart[ient]

 

à la mer

ou au ciel ». (Proust)

 

* … comme ferait une main attentive et toujours patiente avec un visage enfoui & perdu dans la douleur… chaton dans un drap immense & blanc…

 

Matthieu Gosztola


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A propos de l'écrivain

Jean Giraudoux

 

Hippolyte Jean Giraudoux est un écrivain1 et un diplomate français, né le 29 octobre 1882 à Bellac en Haute-Vienne et mort le 31 janvier 1944 à Paris.

 

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com