Je suis Jésus, Giosuè Calaciura (par Anne Morin)
Je suis Jésus, Giosuè Calaciura, Les Éditions Noir sur Blanc, Coll. Notabilia, août 2022, trad. italien, Lise Chapuis, 351 pages, 21 €
Ecrivain(s): Giosuè Calaciura Edition: Editions Noir sur Blanc
Jésus, tout jeune enfant, est pris entre deux regards qu’il sent peser sur lui : attentif et pourtant fuyant, celui de son père, Joseph, insistant et en attente, celui de sa mère, Marie. Deux regards qui s’affrontent en lui, dont il ne comprend pas le sens, deux regards différents, presque opposés dont il ne sait que penser : « Mon père ne me raconta jamais ma naissance. Il écoutait la version de ma mère tout en s’affairant à alléger notre fatigue, à nous couvrir avec des peaux de mouton, à raviver des braises ; il sortait et rentrait au rythme de l’huile qui se consumait dans la lampe : “Où va mon père ?” demandais-je à ma mère » (p.11). Celui de son père sera le premier, et le seul, à céder. « De trop », il s’enfuira un matin et son abandon entraînera la quête du père chez Jésus :
« Et je répétais ma question : Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (p.180). C’est pour le rejoindre, pour comprendre que Jésus quittera sa mère – en cachette –, reproduisant le modèle paternel : « Quelle douleur cela m’a coûté de te tourner le dos, de partir ! Mais je devais retrouver mon père » (p.42).
Sa longue errance le conduit sur les traces de ce père qui a fait défection : « Jamais plus, nulle part, je ne le rencontrerais. Jamais plus je ne pourrais lui demander : pourquoi m’as-tu abandonné ? » (p.198). Jésus en rencontre le double, ou plus exactement l’enveloppe qui le fortifie dans son choix de vie : un certain Joseph, à Jérusalem, lui aussi charpentier. Pas à pas, en découvrant la vie, Jésus va découvrir qui il est, mais ce qu’il est, jusqu’aux dernières pages du livre, il l’ignore :
« Que devina mon père, au cours du peu d’années partagées de mon enfance, qui le découragea, jusqu’à l’abandon et la fuite, de tout projet d’éducation, de tout espoir de faire de moi un être honnête et travailleur, humble et humain » (p.145).
L’éveil à la vie, à l’amour, à la jalousie, à la violence vont le pousser à bout : Nazareth, son village, là où est son cœur, là où vit son indéfectible mère, là où toujours ses pas le ramènent, subit un monstrueux incendie, une attaque de pillards, de chiens sauvages, une sécheresse sans nom : « J’avais beau regarder vers l’arrière, vers l’endroit par où il me semblait être venu, je ne discernais même pas le chemin qui m’avait conduit là » (p.343).
Jésus sera humain jusqu’à la dernière page, jusqu’à la répétition de l’acte suprême de renoncement, interrompu par Judas : ce n’est pas l’heure, ce ne sont pas les conditions, ce n’est pas le temps. Jésus dont le chemin retourne toujours à son lieu de vie ne peut échapper à ce qu’il est, à ce qui pour lui est promis.
« (Jean) a promis à tout le monde que tu allais arriver » (p.350).
Anne Morin
Giosuè Calaciura, né à Palerme en 1960, vit et travaille à Rome. Journaliste, il écrit aussi pour le théâtre et la radio. Sept de ses romans ont été traduits en français. Parmi eux, Borgo Vecchio, paru en 2019 chez Notabilia, classé en huitième place du palmarès des libraires Livres Hebdo, a reçu un accueil exceptionnel : finaliste des Prix Femina Etranger 2019 et Libraires en Seine 2020, il est lauréat des Prix Marco Polo Venise et Méditerranée Etranger. Son dernier roman, Je suis Jésus, a remporté en Italie le Prix Stresa.
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