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Je lisais, ne vous déplaise, Thomas A. Ravier (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 28.11.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Tinbad

Je lisais, ne vous déplaise, Thomas A. Ravier, Tinbad, Essai, septembre 2024, 264 pages, 23 €

Ecrivain(s): Thomas A. Ravier Edition: Tinbad

Je lisais, ne vous déplaise, Thomas A. Ravier (par Philippe Chauché)

 

« Colette écrit : “une fleur”… et voilà la fleur présente ; elle écrit le mot “rose”… et il y a une odeur ; le mot “soleil” chauffe ; le mot “pluie” mouille. Et le reste est divagation nihiliste » (Colette la prédatrice, Je lisais, ne vous déplaise).

« Danser sur la bibliothèque comme sur le fil divin du temps, tel est notre glorieux chef d’œuvre. Le style, c’est l’homme qui a trouvé le passage » (Proust Party, Je lisais, ne vous déplaise).

Au rugby, lorsque l’on marque un essai, il convient de le transformer, le ballon passe alors des mains aux pieds, de la ligne à entre les poteaux, de la terre au ciel ; en ailier ailé, Thomas A. Ravier, de débordements en esquives, réussit à faire de Je lisais, ne vous déplaise, un essai romanesque, un roman soumis à l’éblouissement et à la transformation de l’essai. Ce festin littéraire convie ses écrivains, qui ont belle allure, il y a Colette vibrante qui fait ronronner le français de plaisir, qui a la main verte quand elle écrit, la main du bonheur.

Thomas A. Ravier s’amuse à la confronter à Duras, écrivain de la poisse et finalement des poisseux, d’un côté l’agilité et la souplesse romanesque, de l’autre une lourdeur qui ne cesse de se parer dans les oripeaux littéraires de la mort et du désespoir. Si l’on respire avec Colette, on s’étouffe en lisant Duras, mais aujourd’hui, qui lit Colette ? et qui lit Duras ? Les réponses se trouvent dans ce livre. Si Colette ouvre avec malice cet essai, suivront pour notre plus grand bonheur de lecteurs : Proust, Céline, Marivaux – Marivaux n’est pas pour rien contemporain de Bach : superpositions, écriture à une infinité de niveaux, fugues, variations, contrepoint, on ne présente plus sa technique d’orfèvre en apesanteur –, Bernanos, Faulkner, Bossuet – Si Bossuet est un monstre, c’est de travail. Son secret, une énergie qui dans l’Histoire de littérature ne peut être comparée qu’à celle de Balzac –, Genet, et Sollers, qui fut son éditeur (1), et que Thomas A. Ravier salue avec toute l’admiration d’un styliste à un autre styliste, celle d’un fils à un père des Lettres.

« Archaïque, Bernanos ? Sans doute, mais quelle carrure ! Du barbouillage, ses romans ? Je veux bien, mais quelle envergure ! L’épaisseur du mal… L’emprise physique du péché… La suffocation de la chair… Voilà l’empreinte fiévreuse que laissent ces livres » (Les grands cimetières sous la foudre, Je lisais, ne vous déplaise).

« Chaque roman de Faulkner se caractérise en effet par une sensation-clef. De même qu’un son peut contenir “enclos et résumé”, le secret invisible du grand récit universel, celui des grillons renforme le sens de Lumière d’août. Comme le souffle du vent noir celui des Palmiers sauvages » (Si je t’oublie, Yoknapatawpha, Je lisais, ne vous déplaise).

La grande force et le beau talent de Thomas A. Ravier c’est son ouïe, comme Sollers d’ailleurs, le roman s’écoute en se lisant, vérifiez en lisant Faulkner ou Bossuet, les livres se livrent en s’écoutant, et quand ils sonnent faux, ils peuvent vite aller se rhabiller. L’auteur est doté d’une oreille fine et sensible, à belle oreille, belle plume ! Et quelle plume, pour écrire sur les monuments évoqués plus haut, quelle plume pour plumer Onfray par exemple, l’hédoniste rageur, ou encore Duras. Thomas A. Ravier est non seulement un ailier des Lettres, mais il possède aussi la vitesse, la souplesse, la vivacité, l’anticipation, la force, la finesse d’un joueur de tennis, McEnroe pour ne pas le citer, un œil sur le filet, l’autre sur le livre, que l’on lit ou que l’on écrit, celui-ci fait se relever les morts, les écrivains trop vite oubliés, trop vite enterrés. Thomas A. Ravier fait des miracles, il sait qu’au tout début était le Verbe, et que pour le faire rayonner, il faut le mettre en musique. Alors écoutons !

 

Philippe Chauché

 

(1) notamment Le scandale McEnroe dans la Collection L’Infini (enterrée, mais éternelle comme son directeur Philippe Sollers) : « Comme c’est simple l’espace… le temps… les distances… Droite, gauche… Gauche, droite… Revers coup droit revers… Amortie… Service, volée… Vous êtes à gauche, la balle à droite… Vous êtes loin, la balle est proche… Eh oui ! Avantage, Mister McEnroe… Jeu, Mister McEnroe… Set, Mister McEnroe… Match, Mister McEnroe… Comme le temps passe… ».

 

Thomas A. Ravier, ce sont quatre livres dans la Collection L’Infini chez Gallimard : Les aubes sont navrantes ; Le scandale McEnroe ; Éloge du matricide ; L’œil du prince ; mais aussi Sans le baroque, la musique serait une erreur (Léo Scheer), ou encore Hamlet Mother-Fucker (Tinbad).



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A propos de l'écrivain

Thomas A. Ravier

 

Thomas Ravier ou Thomas A Ravier est un romancier et essayiste français né en 1970 à Paris. Il a publié de nombreux essais et plusieurs romans.

Wikipédia

 

A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com