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Hommage à Roberto Bolaño

Ecrit par Matthieu Gosztola 11.06.11 dans La Une CED, Articles, Etudes, Les Dossiers, Chroniques Ecritures Dossiers

Hommage à Roberto Bolaño

Hommage à Roberto Bolaño (les citations sont de la main de l’auteur), poète et romancier chilien, né le 28 avril 1953 à Santiago du Chili et décédé à Barcelone le 14 juillet 2003, suite à une longue période de maladie, abandonnant à la vie vierge de lui son épouse espagnole et leurs deux enfants qu’il a appelés « sa seule patrie », à l’occasion de la réédition de 2666 en Folio.


C’est « une étrange journée » pour l’épouse espagnole qui se sent « comme si quelque chose avait crevé à l’intérieur » de soi. Elle reste assise sur le lit, « les pieds posés sur le sol, à essayer de se souvenir de quelque chose de flou » (2666).

Autour d’elle, tous les silences font une ronde. Cela durera des semaines. Peut-être des mois. Des semaines, avant que la ronde ne se brise.

Laisser ses journées et ses nuits lentement s’effilocher dans son lit, laisser la vaisselle s’empiler, ne pas ouvrir les stores. Ne plus même être capable de prononcer son prénom, de l’épeler dans l’intimité vacillante de sa pensée.

Comme Rilke, tel qu’il était pour Lou Andreas-Salomé, sa vie entière, il brûla « de la certitude de son rêve ». Comme Rilke, aujourd’hui, il n’est plus.

Mais Rilke tourbillonne toujours de sa présence ailée dans l’intimité de ses lecteurs, lui n’est plus que dans son intimité à elle, lui en tant qu’homme et non en tant qu’auteur, en tant qu’homme qu’elle a su voir, avec son amour, non, avec leur amour, lequel ne ressemblait en rien aux autres amours, en rien, car « aimer, en règle générale (...) est une autre apparence » (2666).

Leur amour n’a-t-il pas été juxtaposition d’âmes, partage, au plus profond, au plus intime, des pensées les plus secrètes, les moins avouables, des souffles les plus tenus, les moins audibles ?

Leur amour n’a-t-il pas été partage sans conscience du partage, plénitude sans l’effort de l’ascète vers la plénitude, plénitude donnée, avec l’idée folle, follement absurde, que tout est don, désormais ?

Contrairement à lui, contrairement à Lou, contrairement à Rilke, elle est vivante (ses journées et ses nuits, son corps, qu’elle traîne avec elle, est comme un aveu : elle est vivante, elle doit s’y résoudre), et ne peut (c’est ce qui la préoccupe à cet instant précis, c’est ce qui l’a préoccupée à beaucoup d’autres instants, oui) franchir le seuil de son bureau à lui, autrement qu’en pensée et en regard (même, il lui arrive d’en rêver la nuit).

Elle ne voit pas encore la continuité de la mort.

Elle croit qu’il n’est pas de mort, que toujours il y a des mémoires qui nous étreignent et qui nous gardent au chaud, contre leur torse de mémoire qui n’est plus seulement de la mémoire.

Tout se mélange dans sa tête, maintenant qu’elle se tient au seuil du bureau, pour la énième fois, et qu’elle n’ose, non, toujours pas, faire un pas vers cet enchevêtrement de livres, de feuilles, d’objets divers (dont un intrigant aquarium rempli d’eau verdâtre renfermant – si l’on donne du crédit aux mots tachant le petit rectangle de papier quadrillé posé à même le verre sous un morceau de rouleau adhésif – « l’exacte métaphore de l’homo erectus des boîtes de nuit : le pseudoceros bifurcus »), de photographies, de souvenirs en somme et de pensées, de repentirs et de pensée vive, de crainte, sans doute, de toucher quelque chose, une liasse de feuilles par exemple, et d’ébranler l’édifice, de crainte, oui, une crainte mêlée à de l’impatience et à de l’amertume, de lire un cahier, un de ceux qu’il a remplis de sa petite écriture penchée, appliquée, de ne plus se l’interdire alors que toutes ces années il n’en était pas question, de crainte de changer quelque chose au désordre qui rendrait presque palpable sa présence, comme s’il était sorti acheter des cigarettes, attendons qu’il revienne, encore cinq petites minutes, avant que je laisse couler mes larmes, de changer quelque chose au désordre qui est comme l’ombre du corps en plein soleil, ce soleil qui depuis longtemps les avait quittés, ou comme le creux du corps laissé dans un canapé terne, le canapé avec l’immobilité duquel il avait fini par se confondre, tout au long de ses journées de souffrance rendue aphone par les médicaments, de ses journées à elle d’angoisse et de perplexité, à la fin.

Elle peut se rappeler qu’il a été, et qu’il a été près d’elle, dans sa maison à elle, que sa maison à elle fut sa maison à lui (la douleur lui fait dire qu’elle ne pourra plus dire « nous »), en regardant son bureau croulant presque sous les manuscrits, en le regardant à une distance respectable, polie, d’une politesse que l’on ne peut avoir qu’envers les morts, en définitive, en regardant ce désordre qu’elle n’a jamais cherché à comprendre, car alors elle pressentait qu’elle l’aurait, mine de rien, circonscrit, puis l’aurait peu à peu mué en un ordre qui, pour reposant qu’il aurait été pour elle, aurait été une insulte à sa liberté à lui, et un coup de pieds dans la fourmilière de ses pensées.

Il y a un homme, au milieu de livres. C’est un homme.

C’est lui. Ce sera lui, pour toujours.

Ç’avait été lui, dès le moment où il avait posé son regard (dans un bar de la rue Bucareli), et plus encore que son regard, où il avait posé ses mots sur elle (« Combien de poèmes j’ai écrits ? Depuis que ceci a commencé : 55 poèmes. Total de pages : 76. Total de vers : 2453. Je pourrais déjà faire un livre. Mon œuvre complète » – Les détectives sauvages –), dans ce bar de la rue Bucareli où le hasard n’avait plus été le hasard mais « l’autre visage du destin et aussi quelque chose de plus » (2666), dès la seconde où ses mots et ses regards avaient été des flèches qui l’avaient clouée sur place.

En même temps que les flèches perdues – celles qui ne l’avaient pas atteinte directement – avaient déchiré la toile d’uniformité du réel, pour lui laisser entrevoir ce qu’elle avait espéré depuis toute petite entrevoir (toute petite, cela sonne comme toujours), et qu’elle avait bien imaginé, avec la raison si posée et si inflexible de l’enfance, cette raison qui n’est que l’autre nom de la foi en l’avenir, se tenir autre part que dans ses rêves de gamine.

Face à lui, chaque partie de son corps dit oui.

Chaque partie de son silence (de son silence qui est, paradoxalement, plus que ne le serait de la parole, un dévoilement, une mise à nu de son être, de tout son être) dit oui. (Oui, oui, oui.)

Et d’ailleurs, ses yeux disent tout, et son sourire intérieur, et cette hâte sur ses lèvres à vouloir être embrassée. Et son impatience et la patience contenue dans son impatience. Une patience qui saura, s’il le faut, être éternelle.

Mais non. Il dit oui lui aussi.

Il aimait la déshabiller, « sentir ses jambes (...) sur [s]es épaules, (...) corriger (...) ses fesses hautaines et parfaites » (Les détectives sauvages).

Je t’ai attendue pendant longtemps. Peut-être toujours.

Ç’avait été ses seuls mots d’amour. Ç’avait été les seuls mots qui, pour elle, avaient eu le visage de l’amour.

À jamais. Aucun livre, jamais. Non, aucun livre (pas même les recueils de poèmes) n’avait pu égaler ces quelques mots.

La plupart des gens sont pleins de vides.

Lui est plein de gemmes, et plein de la lumière sur les gemmes.

Sans encore exister, elle avait fait plein de choses : elle avait lu, appris, compté, regardé, oublié. Elle s’était ennuyée (beaucoup) et s’était intéressée (beaucoup). Sans encore exister, elle avait mis sa vie en ordre, pour que tout soit en ordre quand elle le rencontrerait, lui. Et ça n’avait pas manqué. Elle l’avait rencontré, et elle avait existé.

Il l’avait aidée à mettre sa majuscule à Amour, cette majuscule qui seule, depuis qu’elle était adolescente, elle le savait, donne tout son sens à ce mot par ailleurs si galvaudé, aussi violenté que l’est la vie, il lui arrive de penser ça, alors que la vie est simplement une proposition qui nous est faite de nous ouvrir au monde, aux autres, à l’inattendu qui est contenu dans le monde, et à vibrer à l’unisson de cet inattendu, sans savoir dans quelle direction on sera emporté…, la vie qui est comme l’amour.

Quand elle le regardait, penché sur ses livres, les sourcils froncés, parfois, elle se disait qu’il était pareil à un poème, et souvent, quand elle venait le retrouver aux lectures qu’il donnait de certains de ses poèmes, elle voyait les jeunes filles qui papillonnaient autour de lui, trouvant le prétexte d’une question pour pouvoir l’approcher plus près avec leurs yeux, avec leur désir, leur désir d’un homme qui refuse le désir et néanmoins exploserait de lumière intérieure si elles se dénudaient et prenaient sa main pour se la passer sur le corps, elle les voyait toutes qui posaient les yeux sur cet homme, déchiffrant ce poème.

Il avait été beau, d’une beauté magnétique qui était entrée dans sa vie, sans qu’elle soit préparée à cette manière de choc.

Ses bras, ses yeux, sa peau, ses mains, son corps, tout son corps, tout son visage, tout ce qui, de son visage, n’appartenait pas à son visage : la vie qui l’animait, tout l’avait rendue captive, captive d’une seule idée : l’amour.

Elle avait voulu tout lui donner et elle lui avait tout donné, toujours, même quand il n’y avait rien à donner. Même quand ses mains n’étaient pleines que de ses caresses que ses sourires avaient mises dans ses mains.

(Ses sourires à lui, ses sourires à elle, ses caresses à lui, qui étaient presque des caresses à elle. Tout se confondait, et c’était heureux.)

Être son amour l’avait rendue habitée, voilà tout.

À l’extrémité de chaque mot qu’il disait, à l’extrémité de chaque regard que son corps disait, il y avait son cœur à elle, qui lui rappelait, de sa poitrine, qu’il ne cesserait jamais de battre.

Tant qu’elle vivrait avec lui. Tant qu’il y aurait, quelque part, une vie qui pourrait les accueillir l’un et l’autre dans la même coudée du temps.

Sa vie alors, c’était elle étant ici et là à la fois, sachant posséder l’univers, pour pouvoir ensuite, à tout moment, le lui restituer, sans un mot qui aurait voulu dire, quel que soit le mot d’ailleurs, « voilà », sans un souffle qui se glisse entre l’offrande et lui.

– Elle avait vécu très fort.

Sa mémoire, incandescente.

En collectionnant les instants passés avec lui, elle avait eu l’impression de collectionner des fragments de météorite.

On vit jusqu’aux larmes.

Cela, elle le savait depuis… depuis toujours.

Elle le savait déjà toute petite, elle le savait en tout cas bien avant d’apprendre sa maladie, qui brûlait son corps, a, avait, elle ne sait plus quel temps employer tout à coup, dans les derniers mois, presque tout brûlé de ce corps qu’elle voyait, qu’elle voit encore, il n’est que de fermer les yeux.

Elle avait voulu, ce printemps, retenir la vie qui s’en irait avec l’hiver, la retenir pour la lui donner.

Après l’annonce de la maladie en termes millimétrés, d’une blancheur de spectre, par les médecins trop occupés à sauver leur peau du côté de l’indifférence, glissant sur la mort et la souffrance comme une ombre sur un mur, ce corps, elle ne pouvait que le voir (c’était la dernière chose qu’elle voulait, mais ne pas vouloir n’y faisait rien) comme s’il avait déjà les deux pieds dans la tombe, si fragile, si absent, tellement ensommeillé dans sa douleur et dans le cortège des opiacés qui l’accompagnaient comme une meute de chiens curieusement, incompréhensiblement muselés suivrait les traces d’un meurtrier, dans une forêt de contes de sorcières plus que de fées, ou alors de fées que n’effleurerait aucune ombre de haut destrier et de bottines de prince, cinglant les flancs du destrier.

La maladie lui avait rendu, comme pour la dédommager, à ce qu’il lui avait un instant semblé, absurdement, d’une absurdité qui avait alors confiné à l’amertume la plus extrême, son corps d’enfant : elle s’était surprise un matin (mais les heures avaient-elles encore le moindre sens, quand chaque minute qui s’écoulait était un fil que l’on coupait, un des fils qui la reliaient à lui, à son monde, à ce qui, de son monde, n’avait jamais été touché par elle, frôlé même, de sa paume, de son oreille – pas encore), au sortir d’une longue nuit de cauchemars, de cauchemars qui étaient sortis par râles de son visage, de chaque partie de son visage, du tremblement de ses lèvres, de ses cernes, de ses paupières énergiquement closes sur peut-être ce qui n’était plus de la souffrance, de la peur tout au plus, mais rien qui soit le réel, rien qui soit le pire, de cauchemars qui avaient tenu sa nuit blanche, blanche et tremblante, devant elle, tout le jour encore qui avait suivi, elle s’était surprise à regarder les dessins animés, et s’était mise à rire, mais ç’avait été presque un sanglot, et alors que les silhouettes crayonnées dansaient dans le tremblé de son regard (les larmes y étaient pour quelque chose) et de sa conscience rendue totalement vide par la fatigue (la nuit précédente non plus, elle n’avait pas dormi), elle avait, d’une main, recherché la douceur paradoxale d’un tissu épais et rêche – une vieille couverture qui ne l’avait jamais quittée enfant, et qu’elle avait retrouvée, par hasard lui avait-il semblé, mais peut-être, après tout, avait-elle aidé de beaucoup le hasard.

Perdue, désemparée, ne sachant pas par quels bouts prendre la vie, qui se refusait plus qu’elle ne s’offrait à elle. Cette vie, qui était comme le cadavre de leur vie, maintenant. Et à jamais.

Elle avait bercé ses jours et ses nuits aussi doucement qu’il était humainement possible, pour que la maladie s’endorme et laisse un peu de répit à son mari, à cet homme qui ainsi peut-être dans un avenir indéterminé retrouverait ce sourire d’enfant qu’elle n’avait trouvé que sur son visage à lui, ce sourire d’enfant qui faisait plisser ses yeux, et les rendaient si fins, et devenait le compagnon de ses mains, de leur beauté svelte, de leur assurance, de leur calme, de leur précision, de leur réconfort, ce sourire d’enfant, oui, car il était déjà là sur les photos de lui sur son tricycle, sur beaucoup de ces photos qu’elle avait héritées de ses beaux-parents et archivées dans de grands classeurs et qu’elle regardait parfois, mais plus maintenant – plus tard, oui.

Ce sourire, il avait toujours déjà été là. Elle n’avait fait que le cueillir. Et l’avait porté à la boutonnière pour franchir, une à une, les barricades que la vie avait jetées sur son chemin, pour finir par s’apercevoir que le sourire avait percé sa peau, infecté son sang, et avait contaminé sa lymphe.

Sur son lit d’hôpital, elle lui avait parlé, longuement, du concert qu’avait donné Isaac Stern en soliste à Tel-Aviv. Oui, du fameux concert. Une sonnerie avait retenti pendant le concert qu’il avait donné ce soir-là, dans une salle immense. La sonnerie, le rythme lancinant de la sonnerie. Personne n’était sorti de la salle, mais tout le monde avait sorti son masque à gaz pour le mettre aussitôt. Lui ne s’était arrêté que le temps que lui imposait la partition, deux temps, deux silences pendant lesquels sa respiration avait été un peu moins douce que d’habitude, avant d’attaquer, mesure suivante, une montée dans l’aigu, et il lui avait semblé, ce soir-là, dans cette salle immense, qu’il avait été seul, seul avec la musique.

Une autre fois, un autre concert, sans sirène cette fois. Il est devant un parterre d’hommes et de femmes en costume d’apparat. Il déroule les arpèges dans l’air, l’air qu’il semble gravir comme s’il se fût agi d’une montagne, une gigantesque montagne, chacun de ses gestes contribuant à lui offrir l’ascension vertigineuse, la seule ascension qui soit permise les pieds posés sur le sol, et c’est comme s’il offre aux spectateurs à la fois l’idée de la montagne, l’idée de l’air, l’idée de l’ascension, et l’idée de l’homme. De l’homme non plus perdu comme on a l’habitude de le penser, dès qu’il s’agit d’air, de montagne, ou d’ascension, mais d’homme qui se serait retrouvé, et aurait ouvert les yeux sur ce qu’il est, sans animosité, sans fausse complaisance non plus, simplement avec le regard de quelqu’un qui ouvre les yeux pour la première fois.

Elle lui dit tout ça. Ou plutôt… Elle est là, et elle pleure. Ou plutôt ses larmes disent tout ça.

Depuis le jour où elle avait cru défaillir, alors que le prêtre prononçait les paroles d’usage, et que les silences tombaient sur le carrelage froid de l’église comme les gouttes de cire des cierges allumés sur les barreaux des sièges vides, depuis le jour où ces mots avaient glissé en elle, portés par l’hébétude : « « Aujourd’hui, il ne s’est rien passé. Et s’il s’est passé quelque chose, le mieux est de le taire, parce que je ne l’ai pas compris » – Les détectives sauvages –), elle n’a jamais pu franchir le seuil de son bureau.

Et puis un jour, elle a plongé : elle est entrée.

Il lui a fallu, pour cela, faire 34 petits pas.


1er pas

Chaque moment est cette naissance que nous n’arrivons pas à voir

Car nous avons peur pour demain


2ème pas

L’amour c’est quelqu’un qui est dans notre regard

Avec la joie de la lumière


3ème pas

L’air serait irrespirable

Sans tous nos visages


4ème pas

Il n’y a pas de dernier mot

Dans ton visage

 

5ème pas

Ton sourire me fera la journée de demain


6ème pas

Nos caresses je les ai enroulées

Puis glissées sous l’édredon

J’ai pensé que c’était fini


7ème pas

Là où ça vient d’être ensemble

En même temps que la peau

Nous aurons chaud


8ème pas

Je serai là contre toi pour être vraiment toute ma vie

Ça me manque beaucoup

Que tes silences ne me parlent pas


9ème pas

Les visages sont suffisamment

Grands pour accueillir ce qui n’a pas de chemin


10ème pas

Je continue de te voir partout

Où les pages n’ont pas pu toutes être tournées


11ème pas

Et pourtant un jour

Il faudra partir du visage


12ème pas

J’ai pensé la douceur est ce qui vient du cœur brûlant

D’un visage vraiment aimé


13ème pas

La peau du visage est nue

Comme un livre que vient nourrir la lumière


14ème pas

Enfant nous avions coutume d’être

Dans la lumière dessous les paupières


15ème pas

Les visages sont un départ sur place


16ème pas

Le visage est notre folie d’être ainsi exposés


17ème pas

Tu lapes l’eau

Lentement

Comme si c’étaient de petites gorgées d’espoir


18ème pas

Je me suis souvent demandé

Pourquoi le soir vient

Malgré tant de portes fermées


19ème pas

Sur mes genoux

Tu regardes parfois les illustrations dans les livres

Comme si elles pouvaient te confier ton secret

Celui que tu attends le plus


20ème pas

Dans ta bouche il y a un mot de rien

Qui me renverse totalement


21ème pas

Là où nous essayons d’être un visage

Aux mille portes ouvertes


22ème pas

J’aimerais te dire de ne pas te pencher autant

Mais les mots restent dans ma gorge et sont mes mains

Mais même quand elles se posent sur ton corps

Elles le quittent

 

23ème pas

La mort avance lentement dans le jardin et bientôt

Elle existera

 

24ème pas

Ce que j’aperçois de tes yeux est l’un des mots

Qu’on ne peut pas dire ou prononcer

Je sais qu’il y a des mots aussi pour l’autre côté des choses


25ème pas

Mes larmes en dedans aimeraient être suffisantes

Pour que je tombe en moi-même et que je nage aussi

Pour quelque part où je pourrais te rejoindre

Te comprendre


26ème pas

Est-ce que je peux faire certains gestes

Ou certaines paroles pour te sauver de ta douleur ?


27ème pas

Une larme de moi alors ma main

Sur sa joue de lui pourtant

En caresse de

Printemps avec quoi tout recommence


28ème pas

Dis je t’en prie

Dans cette voix qui sera la nôtre

J’aimerais n’être pas trop au loin


29ème pas

Je crois que c’est possible de vivre car on est deux

Et ça a duré


30ème pas

La première catastrophe vient du nœud du cœur

Impossible à desserrer


31ème pas

Et puis j’ai vu la douleur jeter brutalement ses béquilles

Et toi marcher à cloche-pied comme si tu étais la douleur


32ème pas

Tu trembles un peu et je retiens un peu la flamme des mots


33ème pas

Tu as tiré la nuit sur nos corps ensemble

Peut-être pour qu’on soit plus intimes


34ème pas

La douleur est-elle tout à fait le maître ?

Il suffit d’un tout petit visage

Pour faire sur l’eau des souvenirs les plus beaux ricochets


Matthieu Gosztola

 


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A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com