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Générosité, Richard Powers (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty 30.04.11 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, USA, Le Cherche-Midi

Générosité, 480 pages, 22 €

Ecrivain(s): Richard Powers Edition: Le Cherche-Midi

Générosité, Richard Powers (par Yann Suty)

Thassa Amzwar est une jeune femme heureuse. Un peu trop même pour certains. Elle est tout le temps contente. « C’est comme si elle prenait de l’ecstasy en continu ». Rien ne semble pouvoir lui enlever son sourire des lèvres et l’empêcher de voir la vie en rose. « Cette Algérienne possédait quelque chose de contagieux. Impossible de résister à son allégresse : c’était comme avoir 7 ans et se retrouver à dix heures de son huitième anniversaire ».
« Quand le temps se gâte, son ravissement augmente. Elle arrive en classe sous une averse glacée, la tunique et le pantalon trempé, les cheveux chocolat collés en tresse sur les épaules. Elle se plante dans l’encadrement de la porte […] et rit comme si elle revenait de Disneyland. “Quel temps ridicule ! C’est fantastique !” »
Pour son professeur Russel Stone, cet état perpétuel d’optimisme ne va pas de soi. Etre tout le temps heureux ? Irradier de bonheur ? Propager sa félicité à son entourage, comme une véritable contagion ? C’est d’autant plus anormal que Thassa Amzwar ne présente pas le « profil » pour être heureuse. Elle est en effet une « enfant de la mort », une traumatisée. Algérienne, elle s’est réfugiée au Canada après que ses parents aient été tués lors d’émeutes en Kabylie. Ensuite, elle a déménagé à Chicago pour y suivre des études dans l’objectif de devenir réalisatrice.

« Dix ans de bain de sang ont réduit un pays de la taille de l’Europe occidentale à l’état de cadavre ambulant. Et Thassa a surgi de ce monde, aussi radieuse qu’une mystique en extase ».
« Ou [elle] prend un nouvel antidépresseur, ou son traumatisme est si définitif qu’elle en a perdu le nord ».
Transpirer le bonheur pose problème dans cette université américaine ou la plupart des gens ont plutôt tendance à se plaindre et à râler, à voir toujours le verre à moitié vide qu’à moitié plein. Alors Russel Stone consulte l’une des psychologues de l’université, Candace Weld. Elle diagnostique qu’ils sont en présence d’un cas d’hyperthymie.
Thassa a du mal à comprendre ce qu’on lui reproche, sa propension au bonheur. « Vous pensez que je suis trop heureuse ? » Malgré tout, elle joue le jeu. Son cas attire l’attention de Thomas Kurton, un ardent partisan des manipulations génétiques. Il pense que la jeune Algérienne, « Miss Générosité », possède le gène du bonheur. Ce qui voudrait dire qu’à partir de son ADN, il pourrait fabriquer des pilules qui garantiraient le bonheur à tous ? Plus de souci à se faire, le bonheur est à la portée de tous, le plus simplement du monde.
Intrigués par cette découverte, les médias se pressent et Thassa passe sous le feu des projecteurs. Tout monde veut la voir, la toucher, profiter de ses conseils.
Générosité a des allures de fable. Dans une société où tout le monde veut être heureux, dès que quelqu’un l’est vraiment, tout le temps, sans véritable raison « objective », il devient un cas clinique. Un mutant dont il faut étudier le cas pour essayer d’en tirer profit. Car tout est monnayable, tout devient un moyen de faire de l’argent. Vous voulez être vraiment heureux ? Sortez votre porte-monnaie !
Mais tout doit aussi être explicable. Si quelqu’un est heureux, c’est qu’il y a une cause. Richard Powers fustige très ironiquement cette science qui voudrait tout, tout, tout expliquer et ne rien laisser au hasard, à l’alchimie de la vie. Pour Thassa, il n’y a pas forcément d’explication rationnelle et objective, même si elle accepte de se prêter au jeu et de devenir un cobaye. Comme quand on tombe amoureux. Quelque chose se crée d’un coup et ce n’est pas la peine de chercher des raisons scientifiques.
Le style de Richard Powers est limpide et clair, mais jamais simpliste. Le récit est appréhendé selon les points de vue des différents protagonistes et est entrecoupé d’une voix qui parle à la première personne, un « je » intrusif, qui vient commenter le récit et dont on n’apprendra qu’à la fin de qui il s’agit. Comme un Dieu qui surveille tout ce petit monde.

 

Yann Suty


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A propos de l'écrivain

Richard Powers

Né en 1957, Richard Powers est l’auteur de dix romans qui explorent la relation entre sciences, la technologie et l’art, dont Le Temps où nous chantions et La Chambre aux échos, lauréat du National Book Award en 2006.

A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock