Générosité, Richard Powers (par Yann Suty)
Générosité, 480 pages, 22 €
Ecrivain(s): Richard Powers Edition: Le Cherche-Midi
		
		
Thassa Amzwar est une jeune femme heureuse. Un peu trop même pour certains. Elle est tout le temps contente. « C’est comme si elle prenait de l’ecstasy en continu ». Rien ne semble pouvoir lui enlever son sourire des lèvres et l’empêcher de voir la vie en rose. « Cette Algérienne possédait quelque chose de contagieux. Impossible de résister à son allégresse : c’était comme avoir 7 ans et se retrouver à dix heures de son huitième anniversaire ».
« Quand le temps se gâte, son ravissement augmente. Elle arrive en classe sous une averse glacée, la tunique et le pantalon trempé, les cheveux chocolat collés en tresse sur les épaules. Elle se plante dans l’encadrement de la porte […] et rit comme si elle revenait de Disneyland. “Quel temps ridicule ! C’est fantastique !” »
Pour son professeur Russel Stone, cet état perpétuel d’optimisme ne va pas de soi. Etre tout le temps heureux ? Irradier de bonheur ? Propager sa félicité à son entourage, comme une véritable contagion ? C’est d’autant plus anormal que Thassa Amzwar ne présente pas le « profil » pour être heureuse. Elle est en effet une « enfant de la mort », une traumatisée. Algérienne, elle s’est réfugiée au Canada après que ses parents aient été tués lors d’émeutes en Kabylie. Ensuite, elle a déménagé à Chicago pour y suivre des études dans l’objectif de devenir réalisatrice.
« Dix ans de bain de sang ont réduit un pays de la taille de l’Europe  occidentale à l’état de cadavre ambulant. Et Thassa a surgi de ce monde,  aussi radieuse qu’une mystique en extase ».
 « Ou [elle] prend un nouvel antidépresseur, ou son traumatisme est si définitif qu’elle en a perdu le nord ».
 Transpirer le bonheur pose problème dans cette université américaine ou  la plupart des gens ont plutôt tendance à se plaindre et à râler, à voir  toujours le verre à moitié vide qu’à moitié plein. Alors Russel Stone  consulte l’une des psychologues de l’université, Candace Weld. Elle  diagnostique qu’ils sont en présence d’un cas d’hyperthymie.
 Thassa a du mal à comprendre ce qu’on lui reproche, sa propension au  bonheur. « Vous pensez que je suis trop heureuse ? » Malgré tout, elle  joue le jeu. Son cas attire l’attention de Thomas Kurton, un ardent  partisan des manipulations génétiques. Il pense que la jeune Algérienne,  « Miss Générosité », possède le gène du bonheur. Ce qui voudrait dire  qu’à partir de son ADN, il pourrait fabriquer des pilules qui  garantiraient le bonheur à tous ? Plus de souci à se faire, le bonheur  est à la portée de tous, le plus simplement du monde.
 Intrigués par cette découverte, les médias se pressent et Thassa passe  sous le feu des projecteurs. Tout monde veut la voir, la toucher,  profiter de ses conseils.
 Générosité a des allures de fable. Dans une société où tout le monde  veut être heureux, dès que quelqu’un l’est vraiment, tout le temps, sans  véritable raison « objective », il devient un cas clinique. Un mutant  dont il faut étudier le cas pour essayer d’en tirer profit. Car tout est  monnayable, tout devient un moyen de faire de l’argent. Vous voulez  être vraiment heureux ? Sortez votre porte-monnaie !
 Mais tout doit aussi être explicable. Si quelqu’un est heureux, c’est  qu’il y a une cause. Richard Powers fustige très ironiquement cette  science qui voudrait tout, tout, tout expliquer et ne rien laisser au  hasard, à l’alchimie de la vie. Pour Thassa, il n’y a pas forcément  d’explication rationnelle et objective, même si elle accepte de se  prêter au jeu et de devenir un cobaye. Comme quand on tombe amoureux.  Quelque chose se crée d’un coup et ce n’est pas la peine de chercher des  raisons scientifiques.
 Le style de Richard Powers est limpide et clair, mais jamais simpliste.  Le récit est appréhendé selon les points de vue des différents  protagonistes et est entrecoupé d’une voix qui parle à la première  personne, un « je » intrusif, qui vient commenter le récit et dont on  n’apprendra qu’à la fin de qui il s’agit. Comme un Dieu qui surveille  tout ce petit monde.
Yann Suty
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