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Freedom, Jonathan Franzen

Ecrit par Léon-Marc Levy 21.07.13 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Roman, USA

Freedom, trad anglais (USA) par Anne Wicke, 718 p. 24€

Ecrivain(s): Jonathan Franzen Edition: L'Olivier (Seuil)

Freedom, Jonathan Franzen


Quel est l’objet (« objet petit a » dirait Lacan, désignant ainsi l’objet illusoire du désir) de la littérature ? Ou de la lecture pour être plus précis dans le moment de l’acte littéraire. Sempiternelle question de la quête. Mille réponses on le sait, parmi lesquelles, fréquentes, celles de la force des caractères, de la trépidation d’une histoire, de la magie d’une langue, de l’émotion nichée dans les recoins des phrases, en bas de la page 99 (toujours la page 99) et qui vous prend à la gorge parce que tout à coup, vous savez que l’auteur parle de vous, par exemple.

Etrange début pour un papier critique sur un livre. Nécessaire cependant pour expliquer ce qui constitue la collision entre « Freedom » et le déferlement médiatique qui l’a précédé avant son arrivée en France ! Rarement livre ne fut encensé avec tant d’élan outre-Atlantique, avec même couverture du Time ! « Freedom » est LE roman américain d’aujourd’hui peut-on y lire.


Et après la page 199 (pour rire), on se demande pourquoi.

Des personnages d’une banalité intégrale, plutôt veules, indécis, imbéciles. On les dirait tout droit sortis de mauvais sitcoms. Bons citoyens, dépressifs, vaguement écolos. Gentils, jusqu’à l’écoeurement. Même dans les choses du sexe :


«  Mais le pauvre Walter était fait de telle façon qu’il se souciait moins de sa satisfaction personnelle que de celle de Patty, ou disons qu’il calait son plaisir sur celui de Patty (…) Walter essaya tout ce qu’il put pour rendre les relations sexuelles plus agréables pour elle, sauf la seule chose qui aurait sans doute pu marcher, à savoir cesser de s’inquiéter de rendre ça plus agréable pour elle et se contenter de la plaquer sur la table de la cuisine et de la prendre par derrière. »


Une histoire (essentiellement celle d’une famille américaine issue des milieux « progressistes peace and love » des années 60) tout aussi banale, jusqu’à l’affliction, faite de désillusions, de renoncements moraux, de vie quotidienne ennuyeuse et pleutre, d’absence progressive d’idéaux et d’amour. Aucune émotion, pas trace d’enthousiasme, ou de rejet, ou de rage pendant 700 pages ! Juste un récit, une saga triste (On est loin des amusantes Desperate Housewives et pourtant Patty Berglund, l’héroïne de « Freedom », en est une !), un goût qui s’installe lentement d’amertume, de désolation. Non pas que les événements soient tragiques, à peine pathétiques. Non, de désolation tranquille, d’une famille, d’un groupe d’amis, qui vieillissent sans rêve dans une Amérique qui leur ressemble. Dans un « Minnesoooota » grisâtre. L’Amérique de Nixon, de Carter, de Reagan, de Clinton, des Bush. Une Amérique loin, de plus en plus loin de ses valeurs fondatrices, de ses rêves (illusions ?) de liberté, de progrès, de culture, de fraternité. Le cynisme est passé par là, les hommes ne comptent plus, seuls la croissance et l’argent …

Et Franzen met, avec une volonté fascinante, son écriture au service de cette morne banalité, accumulant les dialogues insignifiants et les clichés les plus éculés.


« Oui, mais c’est pour ça que c’est génial qu’il travaille avec nous. Je ne veux pas que vous soyez cool. Je n’aime pas les hommes coll. J’aime les hommes comme vous … »


«  - En plus, y a pas un problème avec les colonies illégales et les Palestiniens qui n’ont aucun droit ?

- Oui ! Il y a un problème ! Le problème, c’est d’être un petit îlot démocratique et pro-occidental entouré de fanatiques musulmans et de dictateurs hostiles. »


Vous l’avez compris, à travers le couple Patty-Walter Berglund, Jonathan Franzen nous scotche dans une vaste métaphore romanesque qui est bien plus le récit des quatre décennies qui ont balayé les rêves de la génération du baby-boom, que l’ « histoire » romanesque d’une femme errant entre des amours improbables, un ennui permanent et des combats perdus d’avance.


Franzen connaît son travail d’écrivain. Il tisse une toile dont les fils croisés sont autant de moments d’une époque, une toile où le propos est en écho parfait avec le style adopté : « chirurgical », froid, réaliste. Franzen accomplit – aussi – un travail de sociologue, d’ethnologue : son monde bouge comme une mécanique implacable où les personnages sont pris comme dans une toile d’araignée. Incapables d’en sortir. Ne le souhaitant même plus. Il est difficile de ne pas évoquer une parenté entre son univers et celui de Houellebecq dans ce regard désenchanté sur ses contemporains.

La narration de Franzen, dans son ambition même, interdit tout schéma de « continuo ». Le récit principal est fait de récits minuscules, entrecroisés, dont aucun ne prend de place dominante à l’image des personnages dont ne se détache aucune figure. A l’image d’un pays qui a perdu ses derniers héros, et ses dernières illusions, dans les boues du Vietnam, les poussières du WTC, les rues de Bagdad ou les déserts afghans. Walter Berglund le dit :


« L’impression d’être une boule de flipper uniquement réactive ».


Aplatissement des êtres, des combats, des volontés, assassinat volontaire et maîtrisé de tout héroïsme romanesque. On s’installe, au fil des 718 pages, dans un staccato triste dont le pouvoir de fascination (vertige ?) est incontestablement redoutable. Et Franzen joue sa partition avec une minutie impeccable et un talent réel. Mais - que les futurs lecteurs le sachent - on est à mille lieues des souffles humains, picaresques, épiques, telluriques d’une littérature américaine qui vibre encore et pour toujours dans nos mémoires.

Far from Twain, London, Hemingway, Harrison ! L’Amérique d’aujourd’hui est comme « Freedom » : collée au sol, essoufflée, erratique, asthmatique.


Alors finalement oui. Comme exercice métaphorique, « Freedom » est assurément le roman parfait de l’Amérique de ce début de XXIème siècle.


Léon-Marc Levy


VL1


NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)



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A propos de l'écrivain

Jonathan Franzen

Jonathan Franzen (né en 1959 à Western SpringsIllinois) est un écrivain américain, romancier et essayiste.

Après une enfance dans le Missouri, il fit ses études supérieures à Berlin. Il parle couramment l'allemand et est également traducteur. Il vit actuellement àNew York.

Après deux romans (La vingt-septième ville en 1988 puis Strong Motion en 1992) et une période de doute, il connut en 2001 un succès hors-norme avec Les Corrections (National Book Award 2001 et James Tait Black Memorial Prize 2002).

En 2002 il publie un recueil d'essais intitulé How To Be Alone ?.

En 2006 il publie ses mémoires La Zone d'inconfort.

En 2010, il fait la Une de Time Magazine à l'occasion de la sortie de son roman "Freedom1". Il fait également la une de Libération le 16 août 2011


(Source Wikipédia)

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /