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François, portrait d’un absent, Michaël Ferrier

Ecrit par Philippe Chauché 21.08.18 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

François, portrait d’un absent, août 2018, 256 pages, 20 €

Ecrivain(s): Michaël Ferrier Edition: Gallimard

François, portrait d’un absent, Michaël Ferrier

 

« Ça arrive comme une vague.

Cette nuit-là, j’ai compris ce qu’était une voix blanche. La voix de Jérôme était blanche.

Maintenant, les souvenirs affluent. Ça arrive comme une vague ».

C’est une vague qui emporte François et sa fille Bahia, ce jeudi 26 décembre d’une année qui n’existe plus, sur une plage de l’île de La Graciosa aux Canaries. Une vague venue de loin, invisible, va harponner François et sa fille, une vague silencieuse qui donne le jour à un livre inspiré et profond. François, portrait d’un absent oscille entre le roman et le récit, dans le battement au cœur du souvenir, des souvenirs partagés. Des souvenirs comme des apparitions, qui se glissent avec grâce dans le livre, avec cet art unique de faire apparaître les disparus, de consacrer une présence, de rendre à la vie ceux qui s’en sont absentés. François, portrait d’un absent comme une vague fait surgir le passé commun des deux amis, leurs quatre cents coups, les années lycée, leur densité poétique, les années où se mêlent musiques et ivresses, un œil sur Monk, et une oreille à l’écoute de Leonhardt, des musiciens poètes, l’un danse, l’autre s’envole, ce sont deux oiseaux musiciens aimés de la beauté, comme l’était François.

« Les amis sont des pierreries, des joailleries : on les perd de vue, on les oublie, on ne sait même plus où on les a rangés, et puis un jour ils ressortent du coffre et le miracle à nouveau se produit ».

François, portrait d’un absent, cinéphile et cinéaste, est une plongée dans les années fastes, où dans certains cinémas nos deux amis peuvent tout voir au Studio Bertrand à Paris : Au milieu de l’après-midi, c’est La Charge héroïque : on part à la chasse avec le comte Zaroff et les vampires de Feuillade. Le soir, on croise des yeux sans visage : Un condamné à mort s’est échappé ! Sueurs froides… Gary Grant nous regarde et nous dit : « Tout le monde veut être Gary Grant. Même moi, je veux être Gary Grant ». François, fort de ce savoir, de ces immersions et de ces passions, deviendra cinéaste. Un film présage de ce livre, Thierry, portrait d’un absent, tourne en boucle, un documentaire qui saisit la vie qui tremble et qui chute, un film qui irrigue l’écriture de Michaël Ferrier, l’histoire d’un homme qui va au bout de ses forces, d’un jeune homme perdu, oublié, à la rue. Puis le Japon viendra illuminer la vie de Michaël Ferrier, il y est toujours, et un temps, en écho, celle de son ami. Le Japon ce grand pays de la disparition. Celui de Tanizaki, de la mer Intérieure (qui donnerait un beau nom à un futur roman), de Mizoguchi – Quand Mizoguchi filme, on dirait qu’il ne filme pas –, Tokyo – la ville des bars qui sont à la fois des retraites et des refuges, des tanières et des sanctuaires–, puis un projet commun qui se transformera en brouille, un brouillard, une confusion, une nuée.

« La mer, cette prodigieuse masse d’eau… Mais où est la ligne clignotante du rivage, le détroit tout à coup a changé de face. Que peux-tu faire contre la mer ? Il faudrait que la houle s’apaise, il faudrait qu’un bateau vienne. Mais la mer a tout son temps, c’est une immense patience d’eau, de sel et d’algues, un appareil à regarder le temps ».

Michaël Ferrier n’a pas voulu écrire un tombeau poétique ou une oraison funèbre  pour son ami disparu, mais une longue et belle évocation de leurs années communes. Le portrait d’une jeunesse sacrée,d’un courant d’air, d’un cinéaste, d’un mélomane, d’un homme de radio – les pages consacrées à la radio et à ceux qui l’inventent dans les studios de France Culture  sont splendides –, d’un ami retrouvé. Son écriture est une excavatrice et une motrice, elle repère loin sous les mots les pépites de feu, la vie, la mort, le sexe, temps (1), elle sait, magie blanche de l’écrivain (comme le deuil au Japon), (re)donner vie à la vie, faire apparaître en une phrase ceux que l’on pensait disparus. L’écriture de Michaël Ferrier possède l’art de nous faire voir et entendre la merveilleuse mémoire retrouvée.

 

Philippe Chauché

 

(1) Sympathie pour le fantôme

 


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A propos de l'écrivain

Michaël Ferrier

 

Michaël Ferrier vit à Tokyo où il écrit et enseigne la littérature. On lui doit Tokyo Petits portraits de l’aube, Sympathie pour le fantôme, et Fukushima Récit d’un désastre, parus dans la collection L’Infini chez Gallimard.

 

A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com