Emergency 911, Ryan David Jahn
Emergency 911, trad. (USA) par Simon Baril février 2013, 331 p. 22 €
Ecrivain(s): Ryan David Jahn Edition: Actes Noirs (Actes Sud)
Partir avec Ryan David Jahn dans cette poursuite éperdue d’une fille qu’on a arrachée à son père sept ans plus tôt et qu’on croyait morte, est une traversée rugueuse du cœur même de la littérature noire. Jahn nous offre, dans un style toujours aussi nerveux et dense (on se rappelle le « De bons voisins » haletant !) une sorte d’épure absolue du polar, dans une version extrême. Par sa noirceur, son incroyable violence, son scénario élémentaire, Emergency 911 constitue le parfait syntagme du thriller.
Autant en avertir d’emblée les lecteurs sensibles : les scènes de violence de ce roman touche au gore dans sa version « bistouri » ! Dans une débauche de détails horrifiques qui rappellent les ralentis des films de Sam Peckinpah. Le rapprochement d’ailleurs s’impose : simplicité de l’histoire, étirement des scènes violentes, comment ne pas évoquer « Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia » par exemple ?
« Davis fait un bond de côté, mais ça ne suffira pas pour échapper à la balle du deuxième canon, qui l’atteint en plein visage. Il n’a même pas le temps de crier. En une fraction de seconde, son visage se transforme en un masque de sang et de muscles. Des dents et des fragments d’os se répandent dans l’allée derrière lui, à l’intérieur d’un triangle rouge qui s’élargit, comme si sa tête était un sachet de ketchup qu’on avait écrabouillé. »
Le talent de Jahn, on le voit bien dans cet extrait, est de pas être dupe de son propre récit et de son propre style. Il sait qu’il fait dans le baroque et prend sans cesse une distance avec la narration qui lui donne une légèreté nécessaire.
Ian Hunt est policier, chargé de la réception des appels au 911 (urgences). Il a perdu sa fille, kidnappée depuis de longues années. Il est sûr qu’elle est morte et son ex-femme aussi. Il reçoit un appel un jour d’une jeune femme. C’est Maggie, sa fille ! Elle est vivante mais en danger, détenue par un couple de cinglés en mal d’enfants – et en mal de sang.
Commence alors la course poursuite, contre la montre, contre la folie, contre la mort qui guette Maggie à chaque instant. Poursuite sanglante et terrible, dans un paysage texan sinistre et mortifère, qui ressemble à un décor de science-fiction :
« Les collines pelées s’élèvent de la plaine comme des tumeurs, et l’autoroute I-10 en transperce un bon nombre. La dynamite et les engins de construction ont laissé des parois abruptes qui butent contre l’asphalte, leurs différentes strates de couleurs vous plongeant dans le passé géologique. L’humidité disparaît, les cactus se gorgent de soleil, leurs tiges épaisses ressemblent aux nageoires d’une créature sous-marine exotique oubliée qui vous ferait signe depuis le bord de la route. De vieilles pompes hydrauliques géantes à l ‘allure d’oiseaux préhistoriques picorent le sol des champs de pétrole du Bassin permien, reproduisant à l’infini le même mouvement lent. »
Peu à peu, on comprend qu’à travers cette histoire effrayante et brutale, Jahn métaphorise un versant symbolique tenace de l’Amérique. « Evil is in ». Le mal accompagne son histoire, ici et toujours, comme une gangrène originelle, celle héritée de sa fondation – ou de son absence de fondation justement.
On reste ainsi sur un inquiétant sentiment de dévastation et de destin inexorable.
« Mais c’est Burroughs qui avait raison : l’Amérique n’est pas un jeune pays. L’Amérique est vieille, sale, mauvaise. Elle était là depuis des millions d’années, à attendre, silencieuse ; elle était la terre des bêtes qui ne connaissaient que le langage de la chasse et de la violence, et elle attendait ; depuis une éternité elle était mauvaise, dangereuse, et elle attendait. »
Une plongée violente au fond du noir.
Leon-Marc Levy
VL2
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