Du sexisme dans le sport, Béatrice Barbusse
Ecrit par Jean Durry 02.12.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Anamosa, Essais, Histoire
Du sexisme dans le sport, octobre 2016, 263 pages, 17,90 €
Ecrivain(s): Béatrice Barbusse Edition: Anamosa
Le sexisme : « une attitude qui consiste à avoir des comportements discriminants, c’est-à-dire à séparer et distinguer les individus selon leur sexe et à installer une hiérarchie entre les deux sexes ». Dans cette étude aussi intelligente qu’argumentée, Béatrice Barbusse entend combattre le sexisme sportif et […] lutter contre les inégalités et les discriminations qui vont avec ». Ce combat, elle a tous les titres pour le mener : agrégée en Sciences économiques et sociales, maître(sse) de conférences à l’Université Paris-Est Créteil, ainsi que handballeuse de bon niveau, devenue en 2007 présidente d’un Club masculin professionnel, l’U.S. Ivry, et la seule femme dans cette position, de 2008 à 2012, d’où une connaissance intime des préjugés d’incompétence et d’insuffisance, de l’invisibilité dans des assemblées d’hommes, des fines plaisanteries à répétition ; ce qui ne l’a pas empêchée d’accéder à l’heure actuelle à la Présidence du Conseil d’administration du Centre National du Développement du Sport (CNDS), poste stratégique.
Soulignant à juste mesure que les situations humiliantes évoquées plus haut « sont hélas si fréquentes que l’on finit par les trouver normales », elle pose successivement les questions et les problèmes les plus pertinents. Et d’abord, « les sports ont-ils un sexe ? » ; si c’était une vérité, elle découlerait d’une conception « essentialiste » des sexes et du sport, celle dont « résultent directement les stéréotypes de genre » : or, « le sport n’est pas masculin par nature », il n’est pas « la maison des hommes » (citation de Christine Mennesson) ; dans notre société, cependant, « hommes et femmes apprennent depuis leur prime enfance – le temps des jouets préfigurant les rôles attendus des filles et des garçons à l’âge adulte – à se considérer comme l’exige(rai)ent les normes associées à leur sexe ». Et ces comportements sont intériorisés, incorporisés, le sport étant considéré par principe comme le « lieu par excellence où s’exerce l’apprentissage de la virilité et de la sociabilité masculine », différenciation qui se double d’une hiérarchisation.
« Les sportives se doivent-elles d’être féministes » et comment doivent-elles s’habiller ? Ainsi que l’avait analysé Pierre Bourdieu (La domination masculine, 1998), la femme est « un être perçu [existant] pour et par le regard des autres en tant qu’objet accueillant, attrayant, disponible ». Comme pour la production de la performance, les sportives doivent développer des attributs tenus pour masculins, force, courage, vitesse, puissance, combativité, vitalité, brutalité, insensibilité, elles vont par réaction déclarer le match terminé : « ce soir on s’habille en femme ». L’érotisation presque systématique des sportives – il n’est que de voir les affiches annonçant les rencontres – confirme « l’idée dans l’imaginaire collectif qu’il n’y a qu’une seule façon d’être une femme », témoignant que le sexisme est structurellement installé dans le sport ». Les règlements sont fixés par des hommes, qui tiennent bien plus que majoritairement les commandes des organismes institutionnels, les décisions sont prises par eux. Si l’évolution des tenues n’a pas cessé – pour prendre l’illustration du tennis, des robes rasant le sol de [Marguerite Broquedis (Jeux Olympiques de Stockholm 1912) et Dorothy Lambert-Chambers, plus encore que de] Suzanne Lenglen, et de Lili de Alvarez (premier « short »-scandale en 1931 à Wimbledon) jusqu’à Serena Williams –, ce sont bien les dirigeants internationaux du Badminton et de la Boxe amateur qui, tout récemment (2012), ont tenté d’imposer à leurs ressortissantes le port de la jupe : mais elles l’ont refusé. En revanche, le Président du Handball Club de Metz l’a voulue ainsi et il a prétendu que l’affluence des spectateurs avait de ce fait augmenté de 30%...
Palier suivant : les femmes sont-elles ou non capables de manager le sport, d’assurer et d’assumer les fonctions d’encadrement et de gouvernance ? Etayée par des chiffres précis, la démonstration est sans appel : qu’il s’agisse du terrain – entraîneur(e), arbitre, équipe médicale –, d’une organisation sportive – dirigeante ou salariée –, ou de l’environnement – agent(e) de joueur ou de joueuse, journaliste –, « le plafond de verre est bien réel pour les femmes ». Fédérations – en 2016, sur les 31 sports olympiques, une seule Présidente –, clubs – aucune de club professionnel masculin de sports collectifs, – journalistes de sport – postes et fonctions stratégiques – ici tout de même une progression – dans les organismes associatifs et les entreprises : quel décalage. D’autant que les femmes hésitent beaucoup à se porter candidates.
Cependant les choses bougent : il y a désormais en France quelque 35% de licenciées, sans parler de celles plus nombreuses encore qui « desportent » hors des clubs et des structures fédérales ; et les barrières cèdent peu à peu. Depuis 1984 [sous l’impulsion de Juan-Antonio Samaranch], le programme olympique féminin n’a cessé de s’enrichir : marathon, judo (1992), football (1996), saut à la perche et lancer de marteau (2000), lutte (2004), boxe (2012). Tout devient possible. Les medias s’ouvrent progressivement. Il n’empêche que le budget des footballeurs de l’Olympique Lyonnais est de l’ordre de 180 à 200 millions d’euros, alors que celui de la section féminine – pourtant trois fois gagnante de la « Champions League » – ne dépasse pas les 5 millions.
En 1982 déjà, quelques-uns qui s’interrogeaient : « Le sport peut-il servir de terrain-laboratoire pour s’entraîner à neutraliser le jeu de masculinité-féminité ? » Aujourd’hui, Béatrice Barbusse peut affirmer que – quels que soient encore les freins, les lenteurs, les souffrances – « le sport apporte une valeur ajoutée indéniable par rapport au mode sociabilisation traditionnel des petites filles ». Le sport apparaît maintenant comme un exemple et un pas en avant – à l’image de ce travail qui sera jalon et référence – sur le chemin de l’émancipation et de l’autonomie des femmes.
Jean Durry
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A propos de l'écrivain
Béatrice Barbusse
Sociologue spécialisée dans le sport et les ressources humaines, Béatrice Barbusse est maître de conférences à l’université Paris Est Créteil. Cette ancienne joueuse de handball, qui a évolué au plus haut niveau national, est aussi la seule femme de France à la tête d’un club professionnel masculin de première division (tous sports collectifs confondus), l’US Ivry handball. Elle est l'auteure de "Etre entraîneur sportif", et "Du sexisme dans le sport".
A propos du rédacteur
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Rédacteur
Ardent défenseur de la langue française, Jean Durry a rejoint avec un vif plaisir l’équipe de « La Cause Littéraire ». Fils de Marie-Jeanne Durry, créatrice en 1945 du « Bulletin Critique », et lui-même président (2001-2013) des « Amis du Bulletin Critique du Livre en Français », il a fait du « Sport, culture vécue » son propre fil conducteur. Ecrivain – grand prix « Sport et littérature » 1992 -, historien et analyste du sport et de l’olympisme, fondateur du Musée National du Sport qu’il a dirigé près de 4 décennies (1963-2001), conférencier international, chroniqueur (presse, radio, télévision), président de la Fédération International du cinéma et de la vidéo sportifs (1987-1991), il a été le concepteur de quelque 200 expositions en France et hors de France.