Dialogue depuis l’ailleurs - à propos de De la poussière sur vos cils de Julien Bosc
De la poussière sur vos cils de Julien Bosc, éd. La tête à l’envers, 2015, 13,50 €
Le livre que publie Julien Bosc aux éditions La tête à l’envers, est à la fois lumineux et plein de mystère, quand cette lumière vient justement de la qualité du mystère. En effet, les deux parties de ce poème grandement dialogué, sont dédiées à plusieurs personnes. Sont-ce là les enfants et l’épouse du poète ? On ne sait pas, mais on devine un drame violent qui inspire le poète, qui agit dans une sorte de dédoublement – voix de lui-même et voix de l’Autre – en une schize créatrice et capiteuse.
Peut-être endormie :
– Par où êtes-vous entré ?
– Par la porte.
– Où est la porte ?
– Loin derrière.
– Vous ? Moi ? Le mur, là, devant, là-bas ?
– Derrière elle-même.
– Comment êtes-vous entrée ?
– Par la fenêtre ?
– Au coin de la porte.
Ô sciure du chêne
Ô biseau de la vitre
– En équilibre entre deux branches hautes d’un arbre, j’ai vu, oui, un livre inachevé dont les sept cahiers étaient cousus par les très fines brindilles jaunes d’un signe.
– Que dit ce livre ?
– Le tourment d’un récit.
D’ailleurs, moi qui connais un peu l’auteur, lequel vit entre Paris et la Creuse, j’ai supposé ici ou là des allusions aux signes champêtres du séjour campagnard, séjour qui abrite aussi la jeune maison d’édition Le Phare du Cousseix, remarquable aventure qui prend soin des poètes, habités par une humanisation de la nature, qui écrivent le breuil ou les champs. Il y a d’ailleurs parfois des exemples de la tendance et du goût de ce poète/éditeur pour la fictionnalisation des milieux naturels, dans son propre travail poétique.
– Quel est le tracé du chemin ?
– Une ligne de fuite.
– Où conduit-elle ?
– Aux tremblants pétales du coquelicot.
– Tel le signet virevoltant dans la nuit ?
– Tel, oui, le visage qui s’efface à contre-jour de la lumière d’une lampe – condamnée à brûler.
– Tel votre visage ?
– Tel votre visage, oui.
Nonobstant, il reste que le ton de l’écriture de Julien Bosc me fait penser aux textes de Marguerite Duras, et précisément à India Song qu’elle a écrit au milieu des années 70 et qui relate l’attente et le drame de personnes confrontées à l’ennui, au bel ennui dont parle Heidegger, qui permet une ouverture sur le néant et la métaphysique.
Au reste, en faisant une recherche au sujet du Ô qu’emploie souvent l’auteur de ces poèmes, j’ai lu que cette lettre était une des lettres de l’alphabet vietnamien, ce qui a bien sûr confirmé mon idée du rapport avec Marguerite Duras. Car ce texte balance lui aussi, comme l’écriture durassienne, sur l’identité (je parlais de schize tout à l’heure), sur l’énigme de la présence non présente, sur la forme dialoguée – qui dans India Song est désynchronisée des images.
Elle, sans âge.
Lui, sur le fil.
– Avez-vous parlé ?
– Jamais, jamais je n’ai pu, je n’ai pu jamais, jamais pu, jamais, mais malgré moi tout le temps, minute après minute, nuit et jour sans répit, ni rien, sans répit ni rien, ni rien pouvoir, rien pouvoir faire, rien pouvoir faire taire, à en devenir folle. Folle.
Il y a lumière et mystère – et je ne paraphrase pas le Fureur et mystère de René Char – dans ces poèmes qui se jettent en une échappée peu lyrique pour finir, vers un lieu où la douleur serait surmontée. Et ainsi, on reconnaît un peu de l’enfance, de la lumière que portent les enfants, comptine, chanson froide, litanie sur le vide mystérieusement habité d’un malheur.
Et comme j’ai reçu ce livre accompagné d’un autre livre que publie cette fois-ci Julien Bosc éditeur, je tiens à dire que j’espère que cette maison trouve son public et fasse survenir à la surface éditoriale de notre époque des voix raffinées et authentiques, de textes imprégnés par la nature, et par le grand silence des choses inertes. Donc, de poursuivre un dialogue depuis l’ailleurs, depuis la luminosité d’un mystère.
Didier Ayres
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