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Désert Désir des Îles (1), par Clément G. Second

Ecrit par Clément G. Second 05.09.16 dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

Notules - notîles en attente d’autres -

Désert Désir des Îles (1), par Clément G. Second

 

« Les îles sont des miséricordes de la mer »,

Saint-Pol-Roux

 

Les îles, miséricordes, faveurs, concessions ou remords de la mer. Ou encore contradictions, oublis ou démentis, exceptions, miettes, bribes… Hypostases d’écume nouée, cernée, solidifiée par jeu ou par inadvertance à longueur de ressac, ou par simple retrait de l’élément qui met la consistance au jour.

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Soubresauts, points d’honneur, points sans texte de la terre.

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D’autant plus ouvertes à l’immensité que jetées menues sur l’océan.

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Graines de poésie sans autre terre que l’interstice imparti entre les vagues et le regard attentif et songeur qui les accueille et les accroît.

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5. Désolées, les îles ? Elles qui anagramment presque la liesse.

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Lacs et oasis, les îles de la terre. Parentes inversées de celles de la mer.

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Chacune est singulière. En découvrir une, pourtant, équivaut presque à les connaître déjà toutes. Toutes archétypiques.

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Grain de beauté, mouche blottie sur la joue de la houle : approche tâtonnante d’une île.

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Analogie aussi, peut-être inévitable : un sexe  – qu’il affleure ou saille – à la toison rase, serré par la conjonction de trois vagues.

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10. Aussi, par glissement, celle d’un sein : galbe que les flux courtisent et mamelon.

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Île, idylle. Proches à l’oreille et par le sens.

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Désert, désir des îles. Le sens, discontinu et rare sinon absent des jours pauvres, nous fait rêver de sa concentration dans un espace-temps intense, durable et possédable, oasis, lac ou île.

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Désert, désir indéfini des îles.

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Il y a celles qui émergent à peine ; celles qui s’arrachent vers le haut, belles et dérisoires dans leur tension abrupte ; les opulentes allongées dans leur bain ; les secrètes dont le littoral dissimule un cœur à trouver… Celles aussi qui échangent avec la mer – une anse pour un cap, une douceur de plages contre un à-pic, un isthme mince en retour d’échancrures  –, vers lesquelles va parfois la préférence.

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15. Aussi les longues, les étirées selon les inflexions des forces qui les font naître, posées là si légères : cils aux battements plurivoques, virgules graciées quand tout s’abolissait dans le débat des vagues, ou encore, pour peu que leur ligne soit double, bouleversants sourcils à la minceur ailée rasant la houle.

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Ce qui peut-être parle et touche le plus : leur frange ourlée. Là où terre et mer se confrontent, s’abordent, luttent ou se consultent pour le tracé de la frontière. Là où le contour, la limite, signifie qu’est admise la finitude obligée, transfigurée en courbure et en grâce.

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Cette exposition à tous vents et courants ne dilapide pas l’intimité, mais hardiment la risque et la confirme.

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Microcosme à l’apparente merci de qui l’approche et y débarque, sa déclinaison fragile trouble pourtant assez le découvreur, peut le changer en invité, aller jusqu’à renverser les termes de la possession en lui infusant sa présence.

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Ile explorée et préservée ; qualité double, pour sa menace et son maintien.

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20. D’abord en faire le tour. Vouloir la traverser vient à l’explorateur, au visiteur aujourd’hui, moins sûrement – ou ne vient qu’après.

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Littoral qui tourne : exploration de tous les angles de la mer.

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Les isthmes et presqu’îles : tentatives esquissées de la mer, ou de la terre, ou des deux, ou retenues, ou manquées peut-être, ou entre-deux d’un équilibre équivoque, suspension évasive en attente de décision ? Le regard de qui les contemple en dit long… Amis des cartes ou des sinueux cabotages, regardez-les à perte de temps. On lira dans vos yeux le choix de la réponse.

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Il ne semble pas que le rattachement de certaines îles au continent affecte leur essence : la mer les entoure toujours… En dépit de sa visibilité questionnante, le pont ferait lien plus fonctionnel que symbolique.

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Quintessence de l’île : littoral enroulé sur un point, ne faisant qu’un avec le centre, à la limite de son indistinction dans l’immense. Rêverie à l’extrême opposé de celle qui assigne, dans les plus vastes paysages terriens, partout le centre.

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25. La puissance métaphorique des îles ne serait pas sans la beauté participable des éléments, parcourue du regard et des jambes.

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Aucun discours sur l’île ne saurait aller droit d’un point aux autres. Il va en courbes puis s’en revient avant de repartir, véhiculant, mêlés, énoncés clairs et mouvements sourds. Ressac langagier qui sans exactement répéter reprend et reprend encore, et par afflux successifs avance ou du moins se déplace.

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À portée de regard, de jambes et de bras, l’île exalte l’instinct géocréateur. Robinson, à partir d’épaves, refonde, aménage et bâtit.

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Mettez plus d’une île. La solitude en passant au pluriel devient communauté.

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Archipel : là où la mer, à force d’îles égrenées, sort de l’indifférencié et devient, comme l’étymologie le souffle, première et même principale.

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30. Points de suspension éparpillés comme les dés d’un hasard improvisateur, clignotants, énigmatiquement complices, ou…

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…pièces-vestiges d’un puzzle continental éclaté lors de telle ou telle mythique catastrophe, ou sommets éclaireurs de la terre en attente d’exhaussement plus au-dessus des flots ?

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Comme un gué en désordre, à fouler à grands caps, d’un pétale de la rose des vents à d’autres.

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Élis des îles la teneur ouvrante qui mieux que leur enchantement te fait aller de l’une à l’autre, apprenant d’elles ton tréfonds.

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Leurs maisons et leurs ports nichés au creux des accidents de la côte (comme les chalets et hameaux fichés sur la diagonale des montagnes). Humains et barques, intimité en vue du large et le songeant, fragile couvée de l’aventure.

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35. Leçon dernière des îles : espace et intériorité.

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Encore bien des îles reçoivent le monde moderne avec des restrictions : fréquence lâche du lien nautique, tolérance conditionnelle des automobiles, etc. Ces limites matérielles participent de l’essence îlienne qui pousse à la vie simple, élémentaire voire frustre, car elle est dénuement. Parmi les îliens de lignée, des résidents d’adoption goûtent un quotidien combien plus sobre que sur le continent.

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Île : bateau immobile pour voyager, fendre espace et temps vers l’ailleurs.

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Cette réduction spatiale dilate le temps.

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Espace tournant sur soi, soulagement de l’immensité lasse.

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40. Sa ponctualité ouverte à l’horizon comme au zénith rend raison du phare indispensable, qui va de soi comme élément constitutif du fonctionnement îlien et du paysage.

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Phare sur île : conique ou anguleux, solitude au carré, horizontalité fois verticalité, comme absolue.

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L’espace excédant toutes choses, notionnellement tout est île – l’immensité aussi, à la limite, qui s’excède indéfiniment elle-même. L’infini seul n’en est pas. Seule intéresse alors de l’île sa substance paradigmatique en phase avec le borné, la finitude, l’isolement foncier de l’homme.

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A suivre

 

Clément G. Second

 


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A propos du rédacteur

Clément G. Second

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Écrit depuis 1959 : poèmes (sortes de haïkus qu’il préfère nommer Brefs, sonnets, formes  libres), nouvelles, notes sur la pratique de l’écrit principalement.

Plusieurs ouvrages en cours ou achevés, parmi lesquels, en poésie,  Porteur Silence (2017 aux Éditions Unicité de François Mocaër), Encres de songerie (2018) et Ce qu’avoue la lisseur des choses suivi de Reprise (2020) chez le même éditeur..

Longtemps en retrait des échanges littéraires, a commencé en 2013 à collaborer à diverses revues pour l’ouverture et le partage : publications  dans Le Capital des Mots,  La Cause Littéraire, Décharge, 17secondes, Écrit(s) du Nord, Incertain regard, Lichen, Littératures brèves, N47, Neiges (site Landes), Nouvelles d’Harfang, Paysages écrits, Revue Pantouns, Terre à Ciel, Verso.

Réalisations avec Agnès Delrieu, photographe (revues, blog L’Œil & L’Encre http://agnesdelrieu.wix.com/loeiletlencre)

Proche de toute écriture qui « donne à lire et à deviner » (Sagesse chinoise), où « Une seule chose compte, celle qui ne peut être expliquée » (Georges Braque), et qui relève du constat d’Albert Camus : « L’expression commence où la pensée finit ».

 

Son blog : Carnets de flottaison CF. https://carnetsdeflottaison.blogspot.com/