Des sorcières comme les autres, Fabienne Dumont
Des sorcières comme les autres. Artistes et féministes dans la France des années 1970, Presses universitaires de Rennes, mai 2014, 568 pages, 26 €
Ecrivain(s): Fabienne DumontDans cet ouvrage issu de sa thèse Femmes, art et féminismes dans les années 1970 en France, soutenue en 2014, l’historienne de l’art Fabienne Dumont propose une défense et illustration de l’art des femmes de la décennie, mettant en évidence à la fois son intérêt, sa richesse, sa spécificité et sa sous-représentation dans les histoires de l’art et les espaces d’exposition.
C’est à cette sous-représentation que s’attache d’abord la chercheuse. Montrant la présence importante des femmes dans les écoles d’art, elle constate ensuite leur mise à l’écart des instances les plus légitimes de visibilité, en étudiant les revues d’art, les expositions des musées, les salons et les galeries d’art. Après cette première partie, Fabienne Dumont retrace l’histoire des réseaux alternatifs ayant tenté de compenser cette marginalisation des femmes. Elle s’attache en particulier à six collectifs : l’Union des femmes peintres et sculpteurs, Féminie-Dialogue, Femmes en lutte, Femmes/Arts, Art et regard des femmes. Tout en soulignant leur impact limité pour la reconnaissance de l’art des femmes sur la scène artistique, elle montre l’importance de ces groupes pour des créatrices isolées qui prennent ainsi conscience de la spécificité de leur condition d’artistes-femmes.
Après un assez riche cahier central d’illustrations couleurs, les deux dernières parties traitent des œuvres elles-mêmes, divisées en « œuvres sans critiques féministes évidentes » et en « critiques des stéréotypes diffusés dans la société », chacune de ces parties étant elle-même organisée en chapitres thématiques centrés généralement sur la vision de la condition féminine proposée par les créatrices (« Une vision apaisée des femmes », « Place des femmes dans la vie publique : la revendication d’une image différente dans les médias »…). Le classement peut parfois paraître artificiel, mais il a l’intérêt de permettre un repérage dans une matière abondante, Fabienne Dumont ayant choisi de traiter d’un nombre élevé d’artistes. Ce choix est tout à fait compréhensible dans la perspective de l’auteure, qui s’attache à donner une visibilité à un corpus d’artistes absent de notre mémoire de l’art. Il nuit cependant à la lisibilité : on aurait préféré que les thématiques soient illustrées par une ou deux artistes, dont l’œuvre aurait pu alors être analysée plus en profondeur. Les annexes – ici composées de textes marquants de l’époque et d’une sélection d’entretiens avec les artistes – auraient dans ce cas pu être complétées d’une manière de dictionnaire des femmes artistes de la période. Notons cependant que les derniers chapitres proposent justement des développements plus longs, qui font mieux saisir au lecteur la démarche des artistes.
Il faut souligner pour finir que le propos de cet ouvrage érudit n’est pas seulement d’accroître le corpus des artistes de l’époque considérée : il est présenté comme un préalable à une refonte de l’histoire de l’art. La périodicité de celle-ci ne permet pas en effet d’y intégrer les créatrices. Alors que l’histoire de l’art dominante perçoit une unité dans l’art contestataire de la décennie 1965-1975, avec un pic autour de 1968, et une forme de retour à l’ordre à partir de 1974, la rupture se produit pour les créatrices plutôt au début des années soixante-dix, avec une retombée au début des années quatre-vingt. Ce décalage, qui peut paraître mince, entraîne pourtant leur quasi-éviction des grandes expositions consacrées à l’art de cette période. L’intégration de l’art des femmes dans l’histoire de l’art implique de la sorte un remaniement de celle-ci, que Fabienne Dumont place à l’horizon de ce travail. En attendant la réalisation de ce projet ambitieux, espérons également la parution d’une synthèse plus accessible au grand public de ce gros volume, à l’occasion, peut-être, d’une exposition que les reproductions du présent ouvrage font vivement souhaiter.
Ivanne Rialland
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