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De la main à la chute, Marine Gross (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia 01.10.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

De la main à la chute, Le Citron Gare, août 2018, 90 pages, 10 €

Ecrivain(s): Marine Gross

De la main à la chute, Marine Gross (par Cathy Garcia)

Sublimes photos en noir et blanc de l’auteur qui mettent l’eau à la bouche, j’avoue cependant avoir eu du mal parfois à trouver l’accroche, à trouver l’ouverture pour pénétrer dans cet univers qui semble se dissoudre au fur et à mesure où il apparaît, parfois l’impression qu’un trop de mots, même si les textes sont très courts, vient noyer le lecteur pour lui cacher quelque chose qui n’est peut-être pas dit. Une seule lecture ne suffira pas, De la main à la chute est le genre de livre qui ne se livre pas aussi facilement. Il commence par une série de poèmes numérotés, où il est question de filles, mystérieuses, nombreuses, très nombreuses et cet ensemble a un écho quasi eschatologique.

Dans le prologue il est indiqué :

« Épopée métallique d’une bande de filles

Traversant une vallée de cendres

Avec sous les pieds

Un peu de ciel

Presque dissous »

Puis s’enchaînent des poèmes plus ou moins courts mais complexes et je tombe alors sur ces vers qui semblent s’adresser directement à moi :

« Pour l’heure

Cinglante

Puissions-nous t’accompagner

Dans cet étrange dédale »

 

C’est vrai, je me sens un peu perdue dans ce recueil, comme on peut l’être aussi dans ce monde. « Aménagement du désastre ». Alors je lis, je cherche à quoi me raccrocher pour reprendre souffle, mais :

« Le fait ne se décalque pas

Pas plus que le vent

Ne s’attrape ».

 

Mais je saisis cet indice, une fissure :

« Quand je parle

Je perds ma bouche

Elle se crache

Hors de moi

Avec les mots

Alors j’évite ».

 

C’est bien ce qu’il me semblait. De la main à la chute serait-il un carnet d’incantations, de prescriptions magiques censées l’arrêter, cette chute ?

« Reprendre ses esprits

Ne pas reprendre ses esprits

Laisser les fantômes

Attablés dans la pièce à côté

Ou entrebâiller la nuit

Et s’inviter à leur table »

 

Il y a bien des choses inquiétantes tout de même.

« Ombre visqueuse

Dans la bouche ils ruminent

Plein la bouche

Croient que la fumée se mange

Et que l’ombre s’en va avec du détachant ».

 

La poète semble pourtant savoir ce qu’elle fait, ce qu’il faut faire.

« Sois sans crainte bientôt dans la plaine le vent

Se lèvera et nous lècherons nos plaies comme de

petits animaux assoiffés »

 

La poésie permet des rituels étranges : « Je vais plier la maison(…) Et avant que le vent ne se lève Étendre la fumée ».

Le vent dans ce recueil semble un allié, encore une qui l’aurait chaussé à ses semelles ? Alors que le regard voit ce que d’autres peut-être ne voient pas, ou plus :

« Des peaux déposées

Pliées nettoyées

Défaites tragiques

Àcôté du lavomatic

Un corps »

 

Les poètes, ces êtres étranges, peuvent parfois comme les chamanes, expérimenter la dislocation de leur personne, se fondre, se confondre, dans la réalité qui les entoure.

« Si je regarde l’ampoule

Qui brille au plafond

C’est mes pieds qui fondent

Et disparaissent dans le crépitement

Du filament

Et quand j’entends les moteurs

Au loin

C’est tous mes os

Qui rutilent et pleurent

De ne pas être la voiture

Bleu métallique

Avec jantes argentées »

 

Mais ce sont les moineaux qui lui tiendront compagnie :

« Quand plissera le jour

(…)

Que les miettes tomberont

Avec les mots rassis

De la bouche à la manche

De la manche à la chute ».

 

Ce recueil serait-il une sorte de contemplation de la vanité, chute des mots comme chute de neige, pas de sens à chercher, à trouver, rien à quoi se raccrocher sinon le vent, se laisser partir ?

« Véloce le dernier visage

Quand son image écrasée derrière la vitre

se hache déjà »

 

Cathy Garcia

 


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A propos de l'écrivain

Marine Gross

 

Marine Gross est née en 1971. Elle dit que pour elle, écrire, c’est « …descendre dans l’intraduisible, en éprouver la secousse sans jamais l’amortir… » (Roland Barthes, L’empire des signes). Que la poésie est un geste désarmé. De ceux qui ne cherchent pas à saisir, renoncent à revenir, s’effacent pour laisser place. Souvent à la lisière, elle s’assoit, pour guetter le passage. Celui qui réunit la clarté de la nuit à l’opacité du jour. Plusieurs de ses poèmes sont parus dans les revues papier et en ligne suivantes : TraverséesTraction-BrabantFestival Permanent des MotsVersoRevuFrichesRecours au poèmePaysages ÉcritsNouveaux DélitsPoésie/PremièreMéningePoésie sur SeineLe capital des motsCabaretMicrobeComme en poésie, LibelleDe la main à la chute est son premier recueil.

 

 

A propos du rédacteur

Cathy Garcia

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)

Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse

Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié,  Actes Sud

 

Née en 1970 dans le Var.

Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.

A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/

Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes,  mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :

http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com

Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui  a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :

http://evazine.com/livre_art.htm