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Dans la neige, Arnaud Rykner

Ecrit par Marie-Josée Desvignes 29.03.16 dans La Brune (Le Rouergue), La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Dans la neige, mars 2016, 128 pages, 13,90 €

Ecrivain(s): Arnaud Rykner Edition: La Brune (Le Rouergue)

Dans la neige, Arnaud Rykner

C’est une citation de Robert Walser qui ouvre le roman singulier, Dans la neige, d’Arnaud Rykner :

« Juste devenir idiot. Il y a quelque chose de merveilleux à devenir idiot. Mais il ne faut pas le vouloir, cela vient tout seul ».

L’histoire de Joseph c’est celle d’un auteur prolifique et brillant qui a cessé d’écrire pour rejoindre la nudité du temps, la vie la plus dépouillée, la plus vidée de pensées encombrantes pour gagner la joie de seulement être là.

Tour à tour, Joseph ou Tobias (qui vous voulez), tour à tour à la première ou à la troisième personne, le récit semble polyphonique. Le narrateur, ou plutôt les narrateurs en une même personne, c’est Joseph ou Tobias ou « qui vous voulez », un être simple ? Un être tout en poésie, et en vérité, celle du vent, des oiseaux, des cailloux et des lacs, qui nous parle de ce qu’il appelle « la métaphysique du petit pois ». « Entre les ongles, les doigts poussent, la tête sort. Petit pois tombe. J’écosse des petits pois ». Sa vie à l’hospice (pas l’asile) est faite de choses simples, de mots simples, de pensées simples, d’une vie toute simple, faite de rires et de tristesse, de drames parfois et surtout avec une seule raison d’être : « Rien à faire qu’à être bien », leitmotiv lancinant, tout autant que peut l’être sa douleur dans la répétition d’un « où est Lisa ? » qui scande le récit.

Joseph le rêveur rit sans cesse, maintenant avec ses camarades. Avant il avait fait une école et même il écrivait des romans.

Le Directeur et le médecin voudraient que Joseph ou Tobias (qui vous voulez) continue d’écrire des romans, des articles. Mais les petits pois et les sacs à fabriquer ont remplacé les articles et les romans. D’ailleurs les petits pois c’est la même chose que les articles. Un article, ça vaut pas un petit pois, c’est même moins qu’un petit pois et nous-mêmes nous ne sommes rien d’autre : « J’ai toujours voulu être un petit zéro, un zéro tout rond : les petits pois – les zéros. On est tous tout ronds. C’est pour ça que la terre tourne. Parce qu’on est des petits zéros qui tournent ».

Dans une langue répétitive, morcelée, fragmentée, hachée, une pensée qui se promène au gré du vent, va et vient et revient lancinante comme une chansonnette parfois qu’on aurait nous aussi dans la tête, enjouée et mutine à d’autres moments, la métaphysique du petit pois ce serait celle des choses ordinaires vécues pour ce qu’elles sont dans leur dépouillement le plus juste, dans le lâcher-prise le plus total, enfantin, innocent.

Joseph se promène, parle aux oiseaux, garde son secret dans sa poche pour les oiseaux, et rit. Il s’étourdit de lumière et de vent, souffle sur la neige, s’y enfonce, remercie le ciel, la montagne, les fleurs et les pierres aussi, et rit.

Mais au fait, qui l’a vendu à l’hospice ? Lisa, sa sœur. La trahison de Lisa qui l’a abandonné, qu’il cherche et qu’il appelle jusque dans l’église, dans la forêt, tout le long du chemin.

Il se perdra dans la forêt, il se perdra deux fois, la deuxième fois il aura très peur, il reviendra tout agité, fiévreux, se traitera d’idiot qu’il est de toute façon, dit-il « bon qu’à écrire. Même plus ».

Joseph a renoncé. Non pas à la vie, non, à écrire, et à lire, Joseph n’est ni fou ni idiot, il est redevenu un enfant. Les tentatives du Directeur et du médecin qui ont lu tous ses livres, puis du journaliste qui lui rendra visite trois fois dans l’espoir qu’il se remettra à écrire, seront vaines, jusqu’au drame final.

Le « prière d’insérer » précise que le roman est inspiré par la fin du romancier suisse de langue allemande, Robert Walser, qui a passé vingt-cinq années en hôpital psychiatrique où il avait été placé par sa sœur, et qui connut la même fin tragique que le personnage de ce récit. Pour autant, celui-ci n’est pas une biographie de Walser mais simplement une tentative pour faire éprouver ce « quelque chose de merveilleux à devenir idiot » que Robert Walser ne cessa de vouloir ressentir tout au long de sa vie.

 

Marie-Josée Desvignes

 


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A propos de l'écrivain

Arnaud Rykner

 

Arnaud Rykner est né en 1966, et vit à Paris. Ses précédents romans ont tous été publiés dans La Brune. Il a par ailleurs fait paraître plusieurs essais et éditions critiques chez José Corti, au Seuil, et chez Gallimard.

 

A propos du rédacteur

Marie-Josée Desvignes

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Marie-Josée Desvignes

 

Vit aux portes du Lubéron, en Provence. Enseignante en Lettres modernes et formatrice ateliers d’écriture dans une autre vie, se consacre exclusivement à l’écriture. Auteur d’un essai sur l’enjeu des ateliers d’écriture dès l’école primaire, La littérature à la portée des enfants (L’Harmattan, 2001) d’un récit poétique Requiem (Cardère Editeur, 2013), publie régulièrement dans de très nombreuses revues et chronique les ouvrages en service de presse de nombreux éditeurs…

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