Cicéron, Stefan Zweig (par Philippe Leuckx)
Cicéron, juin 2020, trad. allemand Michel Magniez 96 pages, 7 €
Ecrivain(s): Stefan Zweig Edition: Rivages pochePour avoir commenté, ici même, Le Bouquiniste Mendel, et découvert Paul Verlaine, Hommes et destins, Légende d’une vie, Le Voyage dans le passé, Lettre d’une inconnue, je ne suis pas surpris du travail biographique entrepris par l’écrivain autrichien pour proposer sa défense et illustration de Cicéron. On lit cette nouvelle historique sans en lâcher une page tant la vivacité de la plume de l’auteur et les remous nombreux d’une vie attisent notre lecture.
Nous voilà plongés dans l’univers infernal des compétitions romaines entre chefs imbus de leurs droits et puissance, intérêts partisans et volonté, dans le chef d’un être complexe comme Cicéron, de laisser à la république ses valeurs et d’éviter le pire.
L’histoire nous a appris comment César, Auguste, Marc Antoine ont pu se hisser aux premières places et laisser dans l’ombre sans doute les meilleurs, Cicéron en est. Bourré de talents divers, orateur insigne, homme politique engagé, Marcus Tullius Cicéron sera souvent la victime toute désignée des changements de la politique romaine : plusieurs fois exilé, il consacre alors le meilleur de son temps aux livres, à l’écriture. Quitter Rome, la bruyante, pour un havre (Tusculum en Latium) où un esclave est toujours près de prendre sous la dictée le fruit de ses réflexions philosophiques, politiques, morales.
Dans sa soixantième année, en -46, Cicéron, coupé de toutes les affaires romaines, peut enfin s’arrimer au réel le plus vif, l’écriture de De senectute (De la vieillesse) ou des Consolations. Il ne reviendra qu’une seule fois à Rome, à la suite des événements des « ides de Mars », pour être ensuite l’objet d’une sombre machination. On ne pouvait plus guère entendre ce juste, rappeler aux assassins, en ces heures sombres, le droit chemin républicain et celui de la liberté. Il en a payé le prix lourd : son assassinat bien programmé, au cœur de ses terres.
« Ainsi meurt Marcus Tullius Cicéron, le dernier avocat de la liberté romaine, plus héroïque, plus courageux, plus résolu dans ses dernières heures que dans les milliers et les milliers d’autres de sa vie passée » (p.79).
Zweig ne met pas en veilleuse la part d’ombre du grand homme ni ses atermoiements.
Gardons en mémoire ces phrases de Zweig à son propos :
« Mais lorsque les amis de Rome ne viennent pas, il en est toujours d’autres, sur place, compagnons admirables, jamais décevants, tant disposés au silence qu’à la conversation : les livres » (p.48).
Victime du nazisme, Zweig qui prit aussi les chemins de l’exil, sait admirablement faire de la vie précipitée de Cicéron l’apologue de la société de son temps avec ses ambitions, ses affres, ses horreurs. En quoi le moraliste est digne là encore du prosateur exemplaire.
Un livre bref mais étincelant de justesse et de liberté.
Philippe Leuckx
Stefan Zweig, écrivain autrichien de toute première importance (avec Schnitzler, Bernhard, von Hofmannsthal, Winkler), est l’auteur d’une œuvre abondante, essais, romans, nouvelles, biographies. Citons Lettre d’une inconnue ; Le joueur d’échecs ; Amok ; Brûlant secret.
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