Celui qui voulait tout faire très très bien, Alexis Jenni, Zafouko Yamamoto (par Ivanne Rialland)
Celui qui voulait tout faire très très bien, Alexis Jenni, Zafouko Yamamoto, Éditions Paulsen, octobre 2024, 48 pages, 18 €
Ecrivain(s): Alexis Jenni
Celui qui voulait tout faire très très bien inaugure, avec Celle qui savait se débrouiller toute seule, une collection d’albums jeunesse consacrée à des vies inspirantes. Leur auteur, le romancier Alexis Jenni, décline ainsi pour le jeune public sa veine biographique. L’explorateur polaire Fridtjof Nansen dont cet album retrace l’existence a d’ailleurs été un an plus tôt le sujet d’une biographie publiée par Alexis Jenni chez Paulsen, Le Passeport de Monsieur Nansen (2022). Alexis Jenni y interroge le parcours assez énigmatique du Norvégien : sportif, scientifique, explorateur, il devient ambassadeur à l’indépendance de son pays et invente, dans les années 1920, un passeport qui a permis aux réfugiés et apatrides créés par l’éclatement des empires de passer les frontières et de trouver un asile. La biographie part ainsi du dialogue entre l’auteur et une Arménienne centenaire qui lui montre « lépapié » grâce auxquels ses parents ont pu s’installer en France.
Alexis Jenni met en avant les aspérités du caractère de Fridtjof Nansen, sa mélancolie, sa dureté envers son entourage comme envers lui-même, ses naïvetés également, en dépit des talents et des réussites d’un homme qui a été champion de ski et de patinage, a participé à l’émergence de la neurologie, a traversé le Groenland à ski, a organisé une expédition pour tenter d’atteindre le Pôle Nord, avant, donc, d’obtenir le Prix Nobel de la paix en 1922 pour la création du passeport Nansen.
Dans sa version jeunesse, la figure de Nansen perd de sa dureté : le trait de Zafouko Yamamoto donne de la rondeur et de la douceur à un homme dont Jenni souligne la beauté implacable de Viking. Est toutefois bien montrée dans l’album son insatisfaction perpétuelle, qui le lance sans cesse à la poursuite de nouveaux exploits. Son action auprès des réfugiés y devient le couronnement de sa vie, ce qui est bien moins net dans la biographie où Jenni décrit la rectitude morale du personnage sans suggérer que Nansen ait pu trouver dans sa carrière diplomatique une forme d’accomplissement ou d’apaisement.
L’album, qui adapte donc aux enfants cette personnalité âpre, fait découvrir un destin aux multiples bifurcations, traversé par une grande exigence intérieure, mais sans être guidé par une unique vocation, et sans toujours rencontrer la réussite. Le travail graphique de Zafouko Yamamoto enveloppe de poésie l’album de grand format, presque carré. Les teintes brunes des intérieurs, les bleu-vert de la mer et des tenues de Nansen, les blancs et gris des régions polaires, les effets de matière – crayon, aquarelle – forment des harmonies très séduisantes qui nous plongent dans cet univers doublement lointain, temporellement et géographiquement.
Parfois la silhouette Nansen est noyée dans des paysages de forêt, de neige, de mer qui en montrent bien les beautés comme le caractère menaçant. Les scènes de groupe suggèrent les rencontres et les compagnonnages. À plusieurs reprises, Nansen est représenté dans son bureau ou la cabine de son bateau, sur les tables desquels l’on retrouve, de page en page, des photos de famille, des cahiers et des livres, des instruments scientifiques, des cartes. Ces sortes de natures mortes articulent discrètement les différentes facettes de ce destin morcelé.
L’autre album de la collection, dont le récit dû à Alexis Jenni se déroule également dans les régions polaires, a été confié à une autre illustratrice, Lucile Birba, qui s’est saisie de la vie d’Ada Blackjack d’une manière elle aussi réussie : la collection de Paulsen jeunesse est ainsi tout à fait prometteuse.
Ivanne Rialland
Alexis Jenni (né en 1963) a reçu le Prix Goncourt en 2011 pour L’Art français de la guerre, son premier roman. Il est l’auteur de romans, d’essais, de biographies.
Zafouko Yamamoto est une illustratrice jeunesse grecque.
- Vu : 602