Célébrations du Bonheur, Emmanuel Jaffelin (par Sylvie Ferrando)
Célébrations du Bonheur, Emmanuel Jaffelin, Michel Lafon, septembre 2021, 176 pages, 12 €
L’essai d’Emmanuel Jaffelin cherche à nous mettre sur la voie du bonheur et de la sagesse, par une démonstration très didactique en trois parties : l’auteur établit une distinction entre le Malheur, l’Heur et le Bonheur. Le Malheur provient d’un être « méchant », victime de ses pulsions ou passions ; le Malheur est toujours possible car aléatoire, et souvent ressenti comme une injustice. L’Heur, c’est-à-dire la chance, le hasard, apporte momentanément un bienfait, tel le coup de foudre ou le gain au jeu de hasard et d’argent. Le Bonheur, au contraire, est un état qui dépend de soi, qui relève de notre propre volonté et de notre détachement des passions. A l’appui de la démonstration sont convoqués de nombreux exemples, fictionnels ou factuels, mythiques ou contemporains : l’amour (malheureux ?) de Roméo et Juliette, l’histoire de quelques (heureux ?) gagnants du Loto, l’expérience des stoïciens, tel l’esclave Epictète, la vie de l’astrophysicien Stephen Hawking, atteint de sclérose latérale amyotrophique, ou de Jean-Dominique Bauby, qui souffre du syndrome d’enfermement, les amours romancées de Solal et Ariane dans Belle du Seigneur ou de Chloé et Colin dans L’Ecume des jours, les épisodes de la série Minority Report, inspirés de l’ouvrage de Philip K. Dick et auparavant adaptés en film par Steven Spielberg en 2002, le film Quatre mariages et un enterrement (1994) avec Hugh Grant, etc.
Tous ces pans d’expérience humaine concourent au même but : prouver que le Bonheur est intérieur et construit personnellement, quels que soient les aléas de la vie en matière d’amour et d’argent, quel que soit le regard que porte la société sur tel ou tel statut, situation ou événement. Le Bonheur dépasse le désir ou la haine et doit s’affranchir de la passivité des passions et de la recherche du plaisir pour aller vers l’action et la liberté (au sens stoïcien du terme), c’est-à-dire une certaine forme de libre arbitre, une certaine anticipation et acceptation des événements sans verser dans le fatalisme. C’est du déterminisme qu’il est ici question : la vie est considérée comme une succession de chaînes causales suffisamment lâches pour permettre des variations et des ajustements. « On est d’autant plus libre qu’on sait qu’on ne l’est pas », ou du moins qu’on ne peut l’être entièrement. C’est le paradoxe du Bonheur. Celui-ci est fidélité au réel, duquel trop d’imagination éloigne ; il suppose accueil, lâcher prise et sérénité face au destin (c’est l’ataraxie des stoïciens). Notre espace de liberté réside dans l’usage de notre pensée.
Ainsi, selon Epictète, il y a deux sortes de choses dans notre vie : celles qui dépendent de nous et celles qui ne dépendent pas de nous. C’est pourquoi il convient de garder la maîtrise des secondes et d’accepter le vieillissement, l’accident, la maladie et la mort, mais aussi l’amour et la richesse, sans se réjouir inconsidérément de l’Heur (la chance extérieure), car le Bonheur est une conséquence de la sagesse (sophia) et non de l’Heur.
Malgré quelques simplifications parfois excessives dues à la vulgarisation de certaines théories philosophiques, à la fin de l’ouvrage, l’essai d’Emmanuel Jaffelin se révèle tout à fait pédagogique (le « tu » socratique est employé de bout en bout, exprimant l’adresse directe au lecteur dans une forme de volonté dialogique), très optimiste et revigorant pour aborder la rentrée scolaire.
Sylvie Ferrando
Agrégé de philosophie, Emmanuel Jaffelin a publié sept livres, dont un Eloge de la gentillesse et un Petit éloge de la gentillesse (2010 et 2011).
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