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Ce qui n’existe plus, ce qui n’existe pas, Jean-Paul Gavard-Perret

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 18.09.15 dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

Ce qui n’existe plus, ce qui n’existe pas, Jean-Paul Gavard-Perret

 

Temps 1

Mots de sables pour recouvrir les traces. Feu follet se centuplant tandis que le corps fiente sa texture. Partir de Cythère en si terre. Kilomètres d’obsolètes proses dans le cortex, image dans le baba. Ruisseau ou colombin c’est selon – suivant la manière d’envisager la mixtion.

Histrion, histrion. Il aurait pu écrire sous un autre nom. Pipelet de Satan Trismégiste aurait fait l’affaire. Ou cyclope idem. Ne s’en est pas privé. Du moins tant que faire se pouvait. Scribe mi-mystificateur en son besoin de fuir mais demeurant fixé.

Les mots qui le nourrissent encore dans le « truisme » se perdent dans ma porcherie en hommage posthume à Pasolini. L’écrivain se voûte toujours – le tout est de savoir sous quel type d’arche.

Temps 2

Fuite, déperdition. Les mouvements magnétiques ont perdu le Nord. Et que reste-t-il de leur Sud ?

La macération laisse le sujet assujetti à ce qu’il ignore. La littérature n’est plus qu’une ritournelle d’habits sans personne dedans. Si bien que la protubérance phallique serait une indécence. A sa place un creux voire un trou. Par intermittence.

Discontinuité. Eboulis. Rires entre, au milieu. En avant, doute.

Pour l’extérieur : forme grimée, parfois hallucinée lors des pertes de pensées. Troubles et gondolements. Emiettement.

Transe, défaillance, désastre. Trajet d’une fuite à répétition. Cercle en roue carrée. Le peu de consistance s’écrit (il)lisiblement.

Morpion de jadis devenant somnambulique de ses mouvements valétudinaires. Crêtes et creux. Vie de chien – exit le cabot.

Le dire de travers, en arlequinades. Bien après l’espoir de paroles germinatives ne subsistent que crécelles blafardes, pompes aspirantes, corpus de reliques.

Reliquats rémoulades. Jusqu’à l’infinitésimal. Halte aux tornades vieux Tornado. Ne plus croire que les idées grouillent comme des asticots.

Delirium très mince. Glisser dans les coulisses – seule noblesse qui oblige le fade, le frelaté. Nul besoin de glose ou de codex. Et leurre des clés.

Temps 3

Juché sur un pinacle (bottes compressées de vieux papiers) donner la parole aux vieux démons, aux tigres de cartons.

Fut là. Hissé et mis en tropes. Il intersexe encore par ellipses de plusieurs foyers.

En avant les burnes pour tenter de trouver des équivalences au théâtre des noms, cette commodité de la conversation.

Temps 4

« Des habits pas des noms » demandait Novarina avant de passer du roi des « Imbéciles » à celui des cons (du moins à ceux qui ne savent pas lyre).

Avec ces géniales hémorragies de mots il ne pouvait espérer mieux. Au fil des saignées le discours s’est vidangé. C’est vieux comme le monde – histoire de cadavres (qu’on encense pour les besoins d’une cause) et de sédiments.

Ecrire c’est boucher des trous. C’est exister en divorcé de la transparence et de la transe lucidité.

Entre ange et bête ne reste qu’à hurler après l’âme comme l’ânier à sa monture. L’homme trop humain est à éjecter du cadre de la spiritualité et de l’animalité.

Il ne progresse qu’horizontalement. Faim de l’argent, du pouvoir ou d’abstinence. Chacun son moi et ses errances à partir desquelles toutes les colonies pénitentiaires se mettent en marche.

Temps 5

L’ego est l’angle aigu du réel. Personne ne le perçoit mais il est celui qui dans son ouverture le perce pour en tirer sa part. La meilleure possible.

Dès lors à l’impossible nul n’est tenu : chacun se chamarre d’ibidem, de post-scriptum, de repentirs d’à-peine et surtout d’addenda.

Comment dès lors s’excentrer de celui qui en nous-même n’a pas de gravité et dont la circonférence est vérolée ?

En éviter si possible l’exhibition, le récit. Beckett l’avait compris. Se moquant des tomates farcies de la littérature et chiant l’image des ciels bleus et des déserts blancs.

Mimiques farcesques et envie cistercienne du gris vont de pair dans le médiocre. C’est le nivellement par le bas, par le haut. C’est l’expédient des enfers et des paradis.

Tout écrivain n’est qu’un vieux piano. Emaillé de blanc et de noir. Par petites touches il s’étiole, s’époumone ne pouvant être après avoir été. Même si peu.

Temps 6

Le je écrit pour se dépeupler. Par son il, parle autour de sa honte pour la cacher. Rousseau fut parfait sur ce plan, Brulard (Stendhal) moins orgueilleux. Deux aux pôles extrêmes qui est devenu depuis l’autofiction. Elle ne devrait intéresser personne. Pas même ceux qui l’écrivent.

Rares sont les œuvres délivrées des verrous de brume.

Personne ou si peu pour plonger dans le trou sans fond de l’être. Seul Joyce y coulissa dans la viscosité du mental et Beckett encore lui pour vidanger le Castrol de l’âme.

Et la folie d’Artaud pour la chauffer jusqu’à ce qu’elle s’amenuise en un point de fuite sous la peau de lapin de la personnalité.

A Chambéry jadis dans les faubourgs de la ville passait une femme vieille surnommée « la pattière ». Littéraire à sa manière en se contentant d’éructer « peaux de lapins, peaux ». Vingt centimes pièce. La littérature s’arrête là. Tirage limité dans la messe noire du cri.

Sacrifice ou déblai de l’intériorité.

Ce qui n’empêche pas de rester étonné par l’équilibre de la fourmilière du monde. Cela tient d’un mystère que Dante avait tenté de circonscrire dans sa Comédie humaine de la cruauté. L’ensemble en crucifixions circulaires et retournement du divin. Ou son excentricité.

Preuve que  le chaos retourne d’où il vient, ça tourne en rond, ça tourne rond jusqu’à plus de force. Tombant autant vers le haut que vers le bas. Retour à la nuit sexuel, retournement natal. Mais aux flash-backs d’Hölderlin et Quignard préférer une fois de plus Beckett appariant songe et réel dans son dernier silence et attendant la mort devant son poste de télévision

Aucun livre n’est un livre mais son reste. Celui qui l’écrit n’est que son ghostwriter, nègre blanc d’abracadabrantesques cendres et de crachins italiques.

En un frôlement d’imprévisibles élytres et avec obstination d’insecte, écrivant en geyser chacun garde ses chances de parvenir au psychique purin.

Images et mots se meurent par excès. Néanmoins Paris sera toujours Paris. Au besoin le Texas fera l’affaire.

Temps 7

Pas un jour qui ne passe sans s’étonner d’être toujours vivant. Martingale sublime et provisoire avant l’horizontalité.

Que les plus résistants se rassurent : lorsque le mot ne discrimine pas assez l’image tue. Quand au concept, c’est le naturel des cochons. Truffe de lumière noire pour esprit frappeur.

Ajoutons que pour achever la littérature les graffitis de latrine ont disparu. Reste de son ego les haltères comme rançon de gloria.

« Voilà c’est fait : j’ai fait l’image » (Samuel Beckett) In Memoriam.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 


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A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.