Casse-gueule, Clarisse Gorokhoff
Casse-gueule, mai 2018, 240 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Clarisse Gorokhoff Edition: Gallimard
Ava s’est fait agresser par un inconnu qui lui a ravagé le visage à coups de poing américain. Son joli minois qui faisait la fierté de Nicole, sa mère, et de son compagnon, Marius, n’est plus qu’une horrible gueule difforme et cauchemardesque. Bien sûr, elle souffre le martyre : ses muscles faciaux sont tétanisés, sa chair est à vif, suintante, ensanglantée. Elle décide toutefois de ne pas porter plainte, ni même de s’ouvrir, un tant soit peu à sa mère, de sa toute récente agression. Encore plus surprenant, eu égard au milieu social fortuné dont elle est issue, Ava refuse catégoriquement de passer sous le scalpel d’un chirurgien esthétique. C’est que d’emblée, ou à peine passé le choc initial, elle prend conscience que cet événement, bien que revêtant tous les atours d’une innommable tragédie, sera déterminant quant à son désir d’émancipation : là où elle fut toujours considérée comme un trophée, un faire-valoir, que ce soit dans les soirées « ultra bobos » de son partenaire ou dans le cercle mondain de sa richissime mère, Ava exhibe sa laideur avec une férocité jubilatoire, qu’elle accompagne d’une parole médisante, voire d’un discours haineux, puisqu’elle se sent désormais libre d’éructer une vie qu’elle déteste, un milieu qu’elle exècre. On aura vite compris que son entêtement à rester laide relève du règlement de comptes. Pour autant, l’intrigue ne se cantonne pas à la mise en pièces du beau monde parisien.
Ava est en effet en proie à une obsession : mettre la main sur l’homme qui l’a défigurée. Grâce à d’étranges indices, elle rencontre Lazare, son agresseur, et se retrouve embrigadée dans une société secrète, qui, bizarrement, aurait partie liée dans une série de crimes sadiques perpétrés dans la capitale.
Servi par une très belle écriture, à la fois riche et fluide, le roman de Clarisse Gorokhoff nous entraîne dans les affres des passions, où fanatisme et folie commandent les machinations les plus sordides. Si la lecture en est aisée, puisque la prose est harmonieuse et judicieusement agencée, il faut néanmoins avoir le cœur bien accroché pour supporter cette immersion dans les tréfonds de l’âme humaine. Mais c’est aussi cela, la littérature : une excursion escarpée mais volontaire dans l’inquiétude, le malaise et la provocation. Le dénouement de Casse-gueule est à cet égard tout à fait significatif : dérangeant et stupéfiant.
Christelle d’Hérart-Brocard
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