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Ça écrit quoi, Samuel Deshayes, Guillaume Marie (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 20.01.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ça écrit quoi, Samuel Deshayes, Guillaume Marie, éd. Lanskine, novembre 2019, 56 pages, 13 €

Ça écrit quoi, Samuel Deshayes, Guillaume Marie (par Didier Ayres)

 

Apologie de l’ironie

Rentrer dans ce livre écrit à deux voix, confondues en une voie, laisse entendre une sorte de schize naturelle dans laquelle se glissent les concepts de tragique et de comique, de grâce et de légèreté, de profondeur et de fragilité, de grotesque et de commun, de l’effroi et du bizarre. J’ai d’ailleurs beaucoup de respect pour cette forme hybride, que l’on connaît au théâtre sous l’épithète de tragi-comique. Cela permet de penser les sentiments variés que donne un même texte. Ornementations, lazzis, tours d’un ton de farce, et encore et surtout une ironie qui, en un sens, est double, puisqu’elle sollicite de celui qui lit de maintenir l’équilibre entre le faux suggéré et le vrai voulu. Ainsi, le cœur du lecteur va de l’angoisse au rire, du sérieux au fantasque. Cette ironie qui s’applique ici beaucoup à décrire le monde des lettres, avec plusieurs pages consacrées à des jeux de mots sur des titres célèbres de la littérature, permet une distance amusée et critique. Ainsi, la joie de lire se mêle de pathétique et de bouffon, et cette union des deux écrivains au sein d’un même livre laisse entendre une communauté d’idées, voire de vision du monde.

ma poésie est la vitre

où ne se reflètent pas

ni du monde les replis

ni larmes ni le trépas

vitre de mes vers vitreux

vite je perds vite ma vie

quelques mots échappent buée

glisse à la joue du temps

perdues sans mire

pensées monte-en-l’air

leur fil défait à terre-

à-terre

 

Rire est une manière de distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. Ce recueil issu du travail de deux ou quatre mains nous ouvre à la rébellion. Ici, on se rebelle contre l’ordre, contre les tiédeurs des esprits passifs. Et cet amusement où l’on distingue en même temps la volonté de dénoncer une certaine forme de sérieux académique m’a fait penser aux premiers films de Godard, lesquels se jouent des codes sentencieux, des hypocrisies en un sens, du cinéma de son époque. L’écriture de ces poèmes nous oblige à nous interroger. En tous cas, au sujet de cette démarche proche de l’iconoclastie qui désacralise la supériorité du livre sur la vie, du rire contre l’anxiété humaine, est sans doute un rempart contre l’idée de la mort. Ces textes s’appuient sur une sorte de drame, du vrai drame de l’être humain et sa ridicule et extraordinaire angoisse de la mort.

 

ma chair est triste et hélas

je ne lirai pas tous les livres

ni n’écouterai tous les chants

cependant je jette ma voix

au milieu de toutes les autres

 

On trouve donc dans cet ouvrage une parole double, celle de l’ironie, qui reçoit ici en quelque sorte son apologie vivante en même temps qu’un style ; celui de Michaux ou du Jacques Roubaud du Quelque chose noir. Ainsi, j’ai parcouru ce livre toujours étonné tout en ressentant cela comme une lecture salvatrice et originale.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.