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Bouche creusée, Valérie Cibot

Ecrit par Yann Suty 16.02.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Inculte

Bouche creusée, janvier 2018, 128 pages, 14,90 €

Ecrivain(s): Valérie Cibot Edition: Inculte

Bouche creusée, Valérie Cibot

 

Elle court, et même parfois très vite. Elle s’infiltre partout et se trouve tout de suite à son aise. Dans les maisons, dans les salons de coiffure et dans les boulangeries. Elle est de toutes les conversations. Elle devient de plus en plus forte et bourdonne dans toutes les oreilles. Elle élargit son répertoire. Elle sait aussi faire mal. Elle blesse. Elle tue. Ou bien, elle pousse quelqu’un à manger de la terre, bouchée après bouchée.

Un homme qui mange de la terre, qui se met l’une après l’autre des poignées dans la bouche : c’est par cette image très forte que commence le premier roman de Valérie Cibot. Pourquoi l’apiculteur se livre-t-il à ce geste désespéré ? Parce qu’elle l’a détruit. Qui est « elle » ? La rumeur. La rumeur qui dit qu’il aurait été un peu trop proche d’un étranger. Les commérages se sont transformés en une hystérie collective, la violence s’est déchaînée. L’apiculteur n’en peut plus.

Il y a des voisins qui le regardent en train de se livrer à cet étrange cérémonial. Parmi eux, la narratrice du livre, qui va tenter de remonter le cours de l’histoire. Etape après étape, elle revient sur la façon dont la rumeur a produit ses effets, jusqu’à remonter à l’origine de celle-ci. Il y a un côté « irréversible », comme dans le film du même nom de Gaspar Noé.

C’est une logique implacable. Tout le mécanisme est démonté. Du geste désespéré de l’apiculteur jusqu’aux manifestations épidermiques de ce petit village de montagne quelque part en France. Et ensuite, les choses semblent s’apaiser. La rumeur n’est pas encore insistante, elle va bientôt enfler. Elle n’est que commérages entre habitants, discussion entre voisins. Et à la fin, il y a aura une cause, une explication. Car il a bien fallu un début. Une source, une origine. Une ruche, si l’on peut établir la comparaison, à partir de laquelle va se déverser ce miel terrible et empoisonner l’apiculteur. Une parole reine qui va se colporter dans toute la ville par les voix des uns et des autres comme des abeilles.

La rumeur est aussi un virus qui contamine les habitants les uns après les autres. Et chaque personne atteinte va se charger à son tour de la transmettre à son entourage, avec son lot de préjugés, de bons sentiments, de couplet moralisateur. Et plus ils seront nombreux au courant, plus la rumeur deviendra vraie ou sera tenue pour telle.

La mécanique est implacable. Elle s’avère d’une beauté cruelle. Le fait d’aller à rebours crée un effet. La situation est oppressante, mais la construction tend vers une forme d’apaisement. Une morale aussi, comme s’il s’agissait d’un conte. Un conte qui a, en outre, le mérite de rester focalisé sur son sujet, en s’autorisant quelques pointes d’un humour (assez noir) bienvenu. Voilà de quoi laisser courir le bruit que Valérie Cibot est une auteure à suivre.

 

Yann Suty

 


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A propos de l'écrivain

Valérie Cibot

 

Valérie Cibot est née en 1980. Elle vit et travaille en Ardèche. Bouche creusée est son premier roman.

 

A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock