Blanc, Une histoire dans la montagne, Stéphane Kiehl (par Yasmina Mahdi)
Blanc, Une histoire dans la montagne, Stéphane Kiehl, La Martinière Jeunesse, septembre 2020, 32 pages, 16,50 €
Féerie
Stéphane Kiehl, diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Art de Nancy, est un auteur-illustrateur qui travaille pour la presse et l’édition jeunesse, plusieurs fois récompensé : Pépite Art et documentaire du Salon du Livre de Montreuil pour La vie en design ; Prix Sorcières 2020 pour Vert.
Blanc est le titre du livre jeunesse qu’il a écrit et illustré, au format presque carré (29 x 27 cm), presque parfait… Blanc, c’est la non-couleur par excellence, celle qui s’accorde avec le cercle chromatique – dont elle est exclue. Le blanc matérialise en Occident l’innocence, la virginité, et s’associe à la mort et au deuil en Islam et en Asie. L’album Blanc, Une histoire dans la montagne, se rapporte à la relation qu’entretient un jeune garçon né et vivant dans un chalet entouré de sapins, à la nature environnante. Stéphane Kiehl écrit à la première personne, à la place du garçonnet, qu’il représente minuscule dans le paysage accidenté, sans bords véritables.
La forêt est le lieu secret, l’espace sylvestre énigmatique, l’abri des animaux, lesquels peuvent néanmoins souffrir du froid. Après avoir tenté de poursuivre un renard au pelage de feu, qui furète à la recherche de nourriture, le garçonnet, tel le Petit Poucet, s’est perdu. À la tombée du soir, le petit garçon s’est engouffré dans le labyrinthe forestier et ne retrouve plus les traces de son passage ni le chemin de sa maison. Or, « sans carte ni boussole », comment identifier sa trajectoire ?
Le texte, bien calibré, équilibré, ne se surajoute pas aux très belles reproductions, la plupart en doubles pages, mais se retrouve en bas de page dans une petite police de caractère, comme en une sorte de codex. Les noirs du sol charbonneux, mêlés de brun pour les arbres, jouxtent les pointes cendrées des résineux enfouis sous des monticules blancs. Rappelons que le noir est obtenu par la synthèse additive de l’ensemble des couleurs, et également par le mélange des complémentaires. S. Kiehl introduit de subtiles nuances, de l’aile de corbeau à l’ébène, des noirs de fumée, de réglisse, d’encre, de jais, de carbone, d’aniline (neutre et profond) au brou de noix. Cette diversité ténébreuse contraste avec les blancs de lait, de céruse, lunaires, des touches de gris taupe, acier, de bleu azur, de rose dragée. Les nuances obscures ponctuent la blancheur comme l’écrit sur la page vierge. Cependant, les traces écrites subordonnent l’histoire alors que celles imprimées par les pas s’effacent vite, éphémères, bouleversées par le vent, la chute des flocons.
La peur n’est pas absente du récit, ni la solitude. L’enfant devra exercer son discernement afin de déchiffrer, de décrypter les signes de l’hiver au fond des bois. Au milieu de l’album, quatre calques se superposent avec tantôt des nuages noirs, des oiseaux de nuit, des sapins à moitié recouverts de neige, puis des reflets aquatiques, des fumées, des crêtes lointaines. Les vues en transparence modélisent un territoire en palimpseste, et le résultat confine à une féerie un peu inquiétante. En effet, le petit garçon, désorienté, dépaysé, se retrouve confronté au néant, à l’engloutissement de tous repères à cause du brouillard et de l’heure imprécise entre chien et loup. S. Kiehl émulsionne les encres ou les acryliques de ses panoramas jusqu’à l’obtention d’une quasi-abstraction et la rencontre avec le fabuleux. Les figures et les reliefs sinuent, flottent, s’interrompent. Des coulées dans le brouillard avalent la perspective, rétrécissent les distances, abolissent la vision humaine, la perception linéaire, et se transforment en vision intuitive.
Ainsi, Blanc est une proposition plastique audacieuse, une école artistique du regard afin de libérer chez les jeunes esprits les codes figés du document figuratif. L’artiste insuffle un mouvement qui dématérialise les lieux par un rendu suprasensible. Abordable dès l’âge de 5 ans.
Yasmina Mahdi
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