Belles saisons obscures, Gérard Bocholier
Belles saisons obscures, Gérard Bocholier, Ed. Arfyuen, 2012, 10 €
La poésie contemporaine (que je ne détache pas du corpus de la poésie en général) cherche. Les poètes sont aux prises avec les possibilités infinies du langage en même temps que défaits par avance par le sujet qui les occupe, et sont donc aujourd’hui en ce sens plus des chercheurs que des créateurs. Je dis cela d’une façon un peu nonchalante, je l’avoue, mais je crois que la part du chercheur est très belle. Dans ce sens, il faut faire confiance au chemin que l’on fait en compagnie de la poésie d’aujourd’hui.
Or voici que quelques jours avant la Toussaint, je traverse le dernier recueil de Gérard Bocholier – que je connais un peu grâce à une entrevue au café Costes du Centre Georges Pompidou –, lequel est animateur d’une revue très sérieuse de littérature contemporaine, revue souvent bien illustrée. Et j’ai bu d’un seul trait, pourrait-on dire, comme on boit un alcool fort, une eau de vie violente, ce livre Belles saisons obscures que publie le très intéressant éditeur Arfuyen. On me pardonnera ainsi les imprécisions, la nervosité de mes paroles qui ne sont que le développement rapide de quelques mots pour cette chronique, qui essaye d’illustrer ce livre dont la couverture représente un ciel d’orage qui convient bien à l’atmosphère de l’ouvrage.
On rentre lentement dans ce recueil, en s’imprégnant de l’univers physique du poème, de la ville, de la forêt, de la mer et on s’accroche soudain à une paume, à un visage, une odeur forte qui ressemble au désir. Il faut donc poursuivre. Pour connaître en quoi cela concerne, en quoi cela fait effet poétique. Or, comme je suis pris par les conditions matérielles de ma rédaction – je ne suis sur ce bout de table dans ma salle qu’avec un dictionnaire encyclopédique – l’image du détail de L’Orage de Georges Michel me hante et me pousse vers ce titre, « Ciel d’orage » ne pouvant laisser sans réagir ces insectes pris dans la splendeur ni cet orage bleu.
Grande sobriété parfois pour parler d’une nuque, du corps immense et jeune qui laisse entrer une part de sensualité dans le poème à cause de son immensité par exemple – car la jeunesse est en un sens infinie, ouverte et brève. Poèmes sans ponctuation, en italique parfois, qui prennent des allures d’incantation, de chant, de psalmodie. Je n’oublie donc pas pour ma part que le poème est une adresse, une lancée vers autrui, un acte communicationnel qui requiert de l’absence, de l’appel, comme le font par exemple les Chants du veilleur, un des en-têtes du recueil. Saisir l’appel de celui qui approche /Le front étoilé par les morts /Goûter /La moindre rosée avant l’aube /A la cime brûlée des herbes. Qui appelle ? Le poète lui-même ? Et vers qui ? Une divinité ? Est-ce plus simplement une voix intérieure ? Est-ce une interrogation portée vers Autrui – car parfois le Tu porte une majuscule ? Le Prochain ? Un Aubain ?
Citons in extenso ce beau poème de la page 92 : Rien n’a surgi /De derrière les arbres /La ligne sur le ciel /Est restée immobile /Pourtant la flamme a vacillé /Et j’ai senti comme une haleine /Une présence qui appuyait sa paume /Contre ma nuque /J’aurais tant voulu arracher au feu /Ses paroles sur l’invisible.
Sommes-nous confrontés à la présence rétinienne d’une personne bouleversée par une apocalypse de la mer ? Epaules, là aurait pu être l’autre titre de cette petite chronique. Je n’oublie pas néanmoins un exergue possible du verset 1 du chapitre I de l’Evangile de Jean, que tout le monde connaît.
Didier Ayres
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