Aventures dans l’armée rouge, Jaroslav Hašek
Aventures dans l’armée rouge, novembre 2015 (première traduction française en 1979 sous le titre Les formes du secret), trad. tchèque Héléna Fantl, Rudolph Bénès (Velitelem města Bugulmy, 1921), illustrations de Josef La
Ecrivain(s): Jaroslav Hašek Edition: La Baconnière
Jaroslav Hašek (1883-1923) pourrait bien faire partie de ces quelques écrivains qui ne sont souvent pour le public, que les auteurs d’un seul livre, en l’occurrence Le Brave Soldat Chveïk, largement traduit de par le monde, dont on connaît surtout le premier des trois volumes que finalisa leur auteur (sur les six qu’il avait prévus).
Pour apprécier pleinement l’humour férocement absurde et trop réaliste de Jaroslav Hašek, il n’est sans doute pas inutile de savoir que l’homme était connu pour un engagement anarchiste, mâtiné de revendications proprement tchèques et qui ne l’a pas empêché de fréquenter différentes armées, autrichienne puis soviétique, dans les temps troublés de la première guerre mondiale. Ce sont ces quelques mois passés au sein de l’Armée rouge en tant que « commissaire », entre 1918 et 1920, qui lui inspireront les pages de ces aventures. Il y apparaît bien en tant que lui-même (le passage par la langue russe transformant son nom en Gasek) et non sous la figure de Chveïk qu’il adoptera peu après.
Très rapidement nous sommes plongés dans un monde absurde et chaotique où une administration militaire – dans sa volonté de contrôler le peuple comme ses troupes et d’anticiper les mouvements réactionnaires comme les mouvements stratégiques de l’armée blanche – en rajoute dans l’arbitraire et l’absurde tatillon et très approximatif, dans l’autosatisfaction ronflante et le cynisme cruel et indifférent. Il y a surtout ce décalage permanent où les choses les plus terribles et les plus radicales sont évoquées par les responsables mis en scène avec un détachement, une courtoisie policée et surjouée. Ces responsables, passablement irresponsables dans leur soumission à une hiérarchie bien distante, semblent bien souvent ignorants du réel, qu’il soit celui des données stratégiques (extrêmement confuses) ou celui de la vie ou de la survie de ceux qui habitent ce bourg perdu, Bougoulma (situé à quelque mille km à l’est de Moscou, Bougoulma comptait alors quelque 10.000 habitants et environ 85.000 aujourd’hui), oublié de l’administration, tous régimes confondus. A l’humanité bienveillante attentive à ne pas heurter la population du tovarich (« camarade » en russe) gouverneur Gasek, répondra la stupidité toute administrative, sans pitié mais pas foncièrement méchante, du tovarich Ierokhymov qui, à la tête son régiment, a du mal à résister à l’envie de remplacer le gouverneur, quitte à faire arrêter celui-ci sous n’importe quel prétexte et à la première occasion, quitte à aussitôt renoncer.
En ce royaume d’Absurdie, toute république qu’il cherche à être en ces temps de guerre mondiale et civile, l’humour est une nécessité pour survivre, plus qu’une stratégie. Cela vaut sans nul doute ailleurs de par le monde, quel que soit le ou les pouvoirs auxquels l’on a affaire. C’est sans doute ce qui donne aux récits de Jaroslav Hašek une valeur universelle et ainsi qu’une allure de « manuel de survie ». Toujours utile à garder par devers soi car en la matière, rien ne disparaît totalement de l’histoire, et le pire est toujours prêt à ressurgir. Que voilà un bon antidote !
Pour terminer, remercions aussi l’éditeur (La Baconnière, dans une collection dirigée par Ibolya Virag qui depuis des années milite pour faire découvrir les trésors de la littérature d’Europe centrale aux lecteurs francophones) qui a assez naturellement inclus les illustrations originales de Josef Lada dans ce volume.
Marc Ossorguine
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