Au secret de la source et de la foudre, Georges-Emmanuel Clancier (par Didier Ayres)
Au secret de la source et de la foudre, Georges-Emmanuel Clancier, Gallimard, novembre 2018, 64 pages, 12 €
Le poème-action
Ce qui est déterminant à la lecture du recueil posthume du poète limousin Georges-Emmanuel Clancier, c’est le caractère ancré, ancré dans un temps historique et dans le temps quotidien dans lesquels se déroule l’aventure humaine de ce poète qui a traversé la totalité du vingtième siècle jusqu’à aborder le vingt-et-unième ; et cela avec l’esprit toujours clair, clair au point de revisiter sa propre poésie à cinquante ans de distance. Je dis temps, mais je devrais ajouter espace, topologie, topographie des poèmes écrits dans les années 60-70, qui vont toujours vers l’être et vers le sud – comme si Georges-Emmanuel Clancier faisait sienne la définition de Bonnefoy pour qui la poésie était temps d’été, de lumière. En ce sens le poète ici est éloigné du pays de sa naissance, le Limousin, pays plus froid et plus capiteux, où se jette le tourment des forêts, des ruisseaux vifs et des ciels quasi de montagne, au profit de la blancheur éclatante du soleil et de la Méditerranée.
Oui, c’est frappant pour moi qui aborde l’œuvre du poète, le détail incroyable de la mémoire qui se fixe par exemple sur un jour lointain de 1970, qui note quasiment l’heure de son écriture. Cela permet de supputer que le temps historique, ou tout simplement le temps qui passe, modélisent en quelque sorte le texte, qui agit ainsi comme une espèce de poème-action où affleurent les sensations, la sensualité, voire l’érotisme. J’ai donc parcouru ce recueil comme un lecteur transversal qui aurait fait la lecture d’un temps révolu, mais toujours actif et agissant.
Portée par le mistral des siècles
Dans l’instant solairetu es.
Ta chair est l’arche, la colonne, le temple.
Ô feu, douceur, amour odorant des garrigues,
Vie, chant profond du sang et de la nuit,
Vie pareille à la dansante étincelle de midi,
Vie à la cime des vagues, à la cime des morts.
Ô source, douceur, amour à goût de vigne
Parmi les signes, les stèles et les ruines.
Cette action que perpètre le poème, dit l’importance du corps, du caractère charnel par exemple, de la relation avec la femme aimée, teinte du poème qui réitère l’action de l’amour en sa physique. Cette littérature approche la violence, tout en sortant du bureau, allant dehors, ce qui inspire peut-être la grâce de cette poésie ouverte, ancrée dans maintenant, et même penchée un peu vers la mort.
Violence, action, érotisme, histoire, hic et nunc sont les paramètres les plus évidents de cette écriture éclatée, ici juste accompagnée d’un incipit d’Arlette Brunel, qui éclaire la genèse du recueil, précisant que ces poèmes sont issus d’une correspondance – un peu comme ceux d’Emily Dickinson, qui servaient d’exergue à certaines de ses lettres. Je dirais que le recueil ouvre l’œuvre de G.-E. Clancier par une porte étroite, dans laquelle viennent se loger la lumière et la passion.
Tu passes où sont passés
Combien de jeunes conquérants
Combien de héros qu’on égorge
Combien de bourreaux et d’amoureux
Là le soldat éventrait l’amour
Ici la belle s’ouvrait au bellâtre
Et tu passes le regard distrait
Que retient telle ombre ou telle rousseur
De la pierre royale et pauvre
1967
Didier Ayres
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