Appel à la réconciliation, Foi musulmane et valeurs de la République Française, Tareq Oubrou (par Patryck Froissart)
Appel à la réconciliation, Foi musulmane et valeurs de la République Française, mai 2019, 347 pages, 19,90 €
Ecrivain(s): Tareq Oubrou Edition: PlonNe pas trop prendre, peut-être, à la lettre, a priori, avant même d’avoir parcouru l’ouvrage, un titre un peu alarmiste qui pourrait laisser à penser qu’il s’agit par cette publication de cibler une situation gravement conflictuelle entre communautés vivant en France. Le sous-titre circonscrit de façon plus précise le sujet, lequel pourrait être justement intitulé « Appel à la conciliation ». La thématique est certes de celles qui agitent et divisent notre société, et qui délimitent les sphères d’action idéologique de nos partis politiques. Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, franco-marocain cultivé, ne cache pas qu’il a été (mais dit qu’il n’est plus) membre de la confrérie des Frères Musulmans. Il s’interroge, et interroge, sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la République, et il donne sa réponse : la foi musulmane, fondamentalement (à condition que cet adverbe n’ait rien à voir avec ceux et celles qui s’affirment « fondamentalistes » dans une mouvance wahhabite militante, intégriste et provocatrice), n’est pas opposable aux valeurs, aux lois, aux traditions qui fondent la culture, évidemment plurielle, la vie quotidienne, incontestablement métissée, et le contrat social, constitutionnellement laïque, de la nation.
L’auteur affirme la faisabilité de la mise en forme, et de la mise en place d’un islam de France pensé, débattu, défini, établi par un consistoire de sages, théologiens éclairés, savants, laïcs, hommes et femmes de lois, personnalités politiques, croyants et non-croyants. Ainsi cadré, l’islam en France trouverait un statut similaire à celui des autres cultes pratiqués sur le territoire national dans le respect des lois démocratiques définissant la spécificité de la laïcité à la française. L’islam n’est pas du seul ressort des musulmans, n’hésite-t-il pas à écrire.
« Le non-musulman peut dire des choses pertinentes sur l’islam. […] Il est reconnu par tous les savants de l’islam que le statut de mujtahid est le grade intellectuel le plus élevé en matière de savoir religieux. Certains ouvrent ce statut à des non-musulmans, même à ceux qui renient Dieu… ».
Exposant sa propre conception de cette adaptation/intégration selon lui obligatoire et inéluctable sous peine de voir continuer à croître en notre pays des tendances partisanes extrémistes xénophobes et islamophobes, Tareq Oubrou développe les conditions selon lui préalables à l’instauration d’un islam spécifiquement français dont les pratiques cultuelles et les adeptes se fondraient dans la modération, la neutralité, la tolérance, la non-ostentation. Il n’hésite pas à intituler l’un des chapitres de sa thèse : « Tout dans le Coran n’est pas praticable », ce qui ne peut manquer, il en est conscient et il en assume les risques, de lui attirer les foudres des fondamentalistes intégristes.
En bon exégète du Coran, Tareq Oubrou met en évidence les erreurs de lecture, omissions, interprétations fallacieuses, dévoiements volontaires, applications rigoureuses totalement inadaptées aux modes de vie des sociétés contemporaines de commandements et recommandations coraniques historiquement explicables dans le seul contexte de la contemporanéité de sa genèse.
« Il y a en effet des prédicateurs qui doivent apprendre à se taire, car ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ils incitent les musulmans à témoigner de leur foi là où ils se trouvent, au lieu de les inciter à vivre intelligemment, pudiquement et sereinement celle-ci.
Se pensant antisystèmes, ils font de leur religion une arme de combat identitaire. Pour moi, c’est de l’inconscience… ».
Sans en passer sous silence les causes historiques (le passé colonial français par exemple) et sociologiques (les enclaves péri-urbaines où sont concentrées des communautés frappées particulièrement par la précarité et le chômage), il dénonce les comportements communautaristes générationnels actuels de repli, d’entre-soi, de fermeture à l’autre, de règlements de vie intrinsèques aux quartiers mais non conformes aux lois nationales, d’affichage ostentatoire d’appartenance religieuse, de manifestations cultuelles empiétant sur l’espace public au motif de la liberté d’expression et de culte, qui sont le fait de sécessionnistes communautaristes militant au sein de la société française trop laïque à leur goût.
« On parle beaucoup d’un réveil de l’islam. Il s’agit d’un tellement mauvais réveil que je lui préférerais un sommeil paisible ».
Il effectue sa mise au point à l’endroit, entre autres éléments sociétaux, de la loi interdisant le port de la burqa, du voile intégral : il la justifie sur le plan sécuritaire tout en souhaitant qu’elle n’apparaisse pas comme une décision anti-religieuse.
« Le droit des musulmans doit être le droit français ».
Il conseille à ses coreligionnaires d’être discrets, de se vêtir comme tout le monde dans un contexte occidental, de respecter les règles de vie commune propres au pays, et d’adopter une apparence physique normée. Ridiculisant par ailleurs, dans son désir de promouvoir une relation sereine de ses coreligionnaires avec les membres de la communauté juive française, les fondements conspirationnistes du fameux et fumeux « complot juif mondial », replaçant dans les limbes de l’affabulation raciste le puant « Protocole de Sion », Tareq Oubrou étaie ses propos pacifistes et fraternels en se référant à de multiples sources, islamiques, chrétiennes, hébraïques, philosophiques, métaphysiques, psychanalytiques, linguistiques, littéraires, sociologiques, scientifiques dont la diversité érudite confère à sa thèse une crédibilité certaine.
La conclusion est claire :
« Nous avons démontré tout au long de cet ouvrage que l’allégeance au politique et aux contrats moraux et politiques de la République prime […] sur l’appartenance religieuse musulmane ».
Lecture faite, on ne peut que souhaiter que ce livre soit un important élément de réflexion dans le débat sur la place de l’islam en France.
Patryck Froissart
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