Antonia, Gildas Girodeau
Antonia, éd. Au-delà du raisonnable, mars 2015, 250 pages, 18 €
Ecrivain(s): Gildas Girodeau
Les romans qui tirent vers le noir et du côté du polar sont souvent ceux qui nous en apprennent le plus sur le monde tel qu’il est ou tel qu’il a été, voire tel qu’il pourrait être ou sera. Le dernier opus de Gildas Girodeau n’échappe pas à cela et, en outre, c’est un roman dont le personnage principal emporte le lecteur, le séduisant tout en l’amenant à réfléchir au monde et à sa place dans le monde.
Antonia appartient aux fameuses Brigades rouges, alors que l’Italie entre dans les terribles « années de plomb », celle où une démocratie mal en point sera le théâtre des actions armées, violentes (on commence alors à parler plus systématiquement de terrorisme), ciblées ou aveugles, menées par les extrêmes politiques. Mais Antonia, celle que les services de police ont surnommée la « pistolera », parvient à échapper au « coup de filet » qui démantèle son organisation et l’amène à prendre le large sans tarder, à se fondre dans une autre identité, à changer de pays. Toutes choses qu’elle fait avec une détermination et une intelligence qui vont lui permettre de démarrer une autre vie, ailleurs.
Cette autre vie la conduira sur un autre continent, l’Afrique de l’est, plus précisément en Ethiopie puis au Rwanda. Dans un univers bien différent, tenu par des religieux dont les penchants pour la théologie de la libération ne sont pas un secret pour leur hiérarchie et dont les armes ne font pas de bruit mais constitue une menace des plus dangereuses pour les oppresseurs de tous bords : l’éducation. Pour la nouvelle Antonia, la lutte continue pour l’émancipation des peuples, contre tous les pouvoirs, ceux de l’argent et de la politique, du racisme et de l’indifférence, des hommes sur les femmes, mais ses armes sont faites de mots, ceux qu’elle enseigne aux enfants pour leur faire découvrir les langues du monde, pour leur permettre de comprendre le monde et y faire entendre leurs voix.
Les personnages d’Antonia sont habités par une conviction que l’auteur doit partager et que nous partageons avec eux, que ce soit l’ex-pistolera, sœur Constance qui voit plus loin et plus profond que beaucoup, Jordi qui décide de retourner lutter dans son pays, la Catalogne, à la mort de Franco, Seid qui a décidé lui aussi de partir, pour un kibboutz alors qu’Israël s’ouvre à de nouvelles émigrations. Tous sont habités par un idéal qui les fait vivre et batailler pour un monde meilleur, simplement plus humain.
Si ces personnages sont plongés dans leur temps et nous permettent de le vivre ou le revivre, le travail de documentation mené par l’auteur nous permet de comprendre ces années si complexes et radicales où l’héritage des colonies est si prégnant, où les luttes pour l’indépendance ou pour l’émancipation oscillent entre réalisme revendicatif et espoirs sans limite, et où le cynisme politique et manipulateur ne semble connaître aucune limite. La folie des années de plomb, les dérapages des luttes d’indépendances en Érythrée ou la mise en route de la machine infernale qui dévastera le Rwanda en opposant artificiellement Hutus et Tutsis nous deviennent, au travers de ce roman, un peu plus lisibles, un peu plus compréhensibles, même si toujours aussi insupportables, inimaginables.
Une écriture sobre et efficace, qui privilégie le récit tout en nous restituant les enjeux humains, philosophique ou affectifs, que tous vivent dans un monde à la fois désespérant et plein de l’espoir des luttes. Sans doute une leçon, ou plutôt une ressource et une force pour aujourd’hui et demain.
Marc Ossorguine
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