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Anthologie de la littérature grecque, de Troie à Byzance (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal le 01.12.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Bassin méditerranéen, Folio (Gallimard)

Anthologie de la littérature grecque, Gallimard Coll. Folio classique, octobre 2020, édition Laurence Plazenet, trad. grec ancien, Emmanuèle Blanc, 944 pages, 12,30 €

Anthologie de la littérature grecque, de Troie à Byzance (par Didier Smal)

C’est précisé ci-dessous (si ! si ! allez-y voir !) : le rédacteur de ces lignes porte tatoués sur l’avant-bras droit les deux premiers mots de l’Iliade en grec. Est-il pour autant un distingué helléniste ? Que nenni ! D’abord, il serait douteux que Jacqueline de Romilly ou Jean-Pierre Vernant aient porté semblable ornementation ; ensuite, il s’agit d’un simple proclamation de foi, tant dans la puissance de ces mots spécifiques que dans l’appartenance à un héritage culturel – qui ne signifie en rien l’exclusion d’autres héritages culturels, merci de ne pas tout confondre et voir des opinions fâcheuses là où il n’y en a pas.

Pourquoi la Grèce ?, demandait Jacqueline de Romilly, et elle répondit à cette question dans un bel essai éponyme – dont il serait malséant de plagier les plus belles pages. La bienséance recommande juste l’honnêteté : parce que c’est de là que tout vient pour un vaste pan de la culture occidentale (réponse intellectuelle), parce que c’est de là que proviennent les plus belles histoires pour dire l’Homme (réponse sensitive). Ou du moins c’est là qu’elles ont été mises en forme, en mots, de la plus belle façon qui soit.

Enfin, je ne sais pas, je suis un béotien qui voyage, et je sais juste que mes pas me ramènent souvent vers la Grèce, sans rien en connaître de la pureté que ce que m’a appris une année à raison de deux heures par semaine durant mes études secondaires (ben oui, après, il fallait choisir entre la poésie des mathématiques et celle des classiques, et j’ai choisi la première). J’aime à baguenauder parmi des recueils de poèmes, des livres remplis d’histoires (même Platon, au fond, raconte des histoires, et j’adore celles du Banquet) ou encore des anthologies.

Une anthologie, c’est une pièce circulaire, vaste, parfois effrayante par son diamètre, au milieu de laquelle son auteur pose le lecteur, et il lui dit : « Vois, je te montre les portes qui s’ouvrent, je t’offre un aperçu de ce que tu pourras voir et ressentir derrière chaque porte, à toi de décider si tu l’ouvres et poursuis le voyage ». Car l’anthologiste a voyagé, a connu des contrées autres, et désire partager cette connaissance. Grâce soit donc rendue aux deux voyageuses, Laurence Plazenet pour le choix des textes et Emmanuèle Blanc pour la traduction, qui offrent en un peu moins de mille pages l’aperçu d’un périple qui va « De Troie à Byzance », soit plus de deux mille ans d’une littérature qui dit l’Homme.

Elles ne sont pas les premières, et d’autres anthologies, accessibles au quidam, permettent le voyage, que ce soit le choix proposé par Marguerite Yourcenar avec La Couronne et la Lyre, la belle Anthologie de la poésie grecque préfacée par Jacqueline Romilly aux Belles Lettres ou encore un volume désormais plus publié (mais encore aisément dénichable), La Grèce antique : les plus beaux textes d’Homère à Origène. Là où ces dames se distinguent et éveillent l’intérêt, c’est par l’étendue temporelle du corpus proposé : elles sortent de l’Antiquité pour aller jusqu’aux portes de la Renaissance, mais sans pour autant perdre de vue que le lecteur potentiel est un néophyte et que lui proposer des rogatons en fin de menu, ordre chronologique oblige, ce serait le laisser sur un goût de trop peu. D’où un sentiment étranger, celui d’une forme de plénitude : on commence à lire cette anthologie comme on retrouve de vieux amis (inutile de les citer, tous les grands auteurs sont au rendez-vous), puis doucement mais sûrement, on en rencontre de nouveaux, dont on avait parfois entendu parler (Anne Comnène, sidérante historienne) ou non (Laonicos Chalcondyle, qui boucle l’histoire de la littérature grecque en comparant la chute de Constantinople à celle de Troie).

Je ne suis pas apte à discuter des choix de tel ou tel extrait, et je pense d’ailleurs que cela serait vain : c’est un pinaillage qu’il faut laisser aux distingués hellénistes, à qui cette anthologie n’est pas destinée. Par contre, il faut souligner un choix éditorial identique à celui de l’excellente Anthologie de la littérature latine, de Jacques Gaillard et René Martin, publiée chez Folio aussi il y a quinze ans : une traduction uniforme, c’est-à-dire qui soit ici le fait d’une seule personne, Emmanuèle Blanc, qui explique dans une « Note sur la traduction » avoir choisi d’être à la fois fidèle au grec et au français ; cette double fidélité est heureuse et procède du plaisir ressenti à lire cette anthologie.

Quant à savoir à quoi il pourrait bien servir de lire cette anthologie, la réponse se trouve à la page 368 et est signée Démocrite : « Les grandes joies naissent de la contemplation des belles choses ». Quant à savoir pourquoi tous ces mots ont été écrits, ceux de poètes, d’historiens, de philosophes, d’hommes et de femmes (il faudra un jour parler du principe féminin à l’œuvre dans certaines des plus belles œuvres grecques, à commencer par Le Banquet, et l’idée de l’amour offerte par Diotime, et Antigone, et le rappel de la tendresse face à la brutalité), de gens qui racontent des histoires, une suggestion de réponse est malicieusement proposée par Blanc et Plazenet en fin de volume avec une épigramme anonyme dont je laisse à qui s’offrira de voyager au fil de cette anthologie la joie de la découvrir.

 

Didier Smal

 

Emmanuèle Blanc est normalienne, agrégée de lettres classiques ; elle a été professeur d’histoire grecque à Louis-le-Grand à Paris.

Laurence Plazenet est agrégée de lettres classiques, docteur ès lettres. Maître de conférences à l’université de Paris IV-Sorbonne et détachée au Centre d’étude de la langue et de littérature françaises des XVIIe et XVIIIe siècles (CNRS).

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A propos du rédacteur

Didier Smal

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.