Anesthésie générale, Jerry Stahl (par Jean-Jacques Bretou)
Anesthésie générale, Jerry Stahl, Rivages-Noir, janvier 2023, trad. anglais (USA) Alexis Nolent, 608 pages, 11,50 €
Edition: Rivages/noir
Manny Rupert, ex-flic désormais à son compte, traverse une période comme il en a l’habitude, fauché, déprimé, cabossé par la vie, il est maintenant à deux doigts de se faire virer de son logement. Il lui reste cependant une minuscule planche de salut que, inconscient comme il l’est, il va emprunter pour continuer à marcher sur le fil du rasoir. Manny va se faire enfermer, à la demande « aimable » d’un client, Harry Zell, qui le coince dans un déambulateur, dans la pire des prisons de Californie, celle de San Quentin. Sa mission, animer des ateliers sur l’addiction auprès des prisonniers pour pouvoir approcher l’un deux, un vieillard de 97 ans aux limites de la schizophrénie, afin de découvrir comme il le prétend s’il est Joseph Mengele, l’Ange de la mort d’Auschwitz qui selon la version officielle serait mort noyé en se baignant dans la ville côtière de Bertioga (Brésil) le 7 février 1979. Stahl prend la direction de San Quentin avec un exemplaire de La Prison pour les nuls et un faux certificat d’État prouvant son statut d’expert patenté auprès de l’Institut Steinheim en matière d’addiction de drogue et d’alcool.
Notre thérapeute se retrouve dans un monde dingue au milieu d’une faune surprenante entre un gardien révisionniste, un autre qui se bourre d’hormones pour changer de sexe et la « confrérie des putes vierges chrétiennes ». Un monde que Jerry Stahl éclate dans une prose déjantée qui doit sans doute à voir avec ses antécédents junky, où l’on retrouve mêlés pêle-mêle, façon puzzle, collés les uns aux autres, les aspirations de pureté de l’Amérique, colorées, Dieu soit loué, d’expressions yiddish, et celles de l’Allemagne du IIIème Reich. Stahl ne fait pas de demi-mesures, nous en sommes là et quoi qu’il en coûte, il faut bien l’écrire : « S’il avait vécu, je suis persuadé que le Führer aurait aimé prendre sa retraite en Amérique. Vous comprenez ? L’objectif de la science nazie était d’empêcher les inutiles de polluer notre pur sang nordique. Et voilà que, pas plus tard qu’il y a une semaine, je vais au supermarché bio, et qu’est-ce que je vois ? Une rangée entière pleine à craquer de purificateurs de sang. Si seulement le Führer avait pu voir à quel point son travail a porté ses fruits. Je n’ai aucun doute qu’il aurait choisi de prendre sa retraite à Los Angeles et qu’il se serait mis au yoga. Il ne jurait que par l’homéopathie ! ».
C’est parfois carrément de mauvais goût, outré, un peu long et sans doute pas toujours très clair, mais cela vaut d’être lu.
Jean-Jacques Bretou
Jerry Stahl, né le 28 septembre 1953 à Pittsburgh en Pennsylvanie, est scénariste, journaliste, et écrivain américain de roman policier, et principalement connu pour le récit de ses mémoires sur son addiction à la drogue, Permanent Midnight, A Memoir (Mémoires des ténèbres) adapté au cinéma sous le même nom avec Ben Stiller dans le rôle-titre. En France il est publié chez Payot et Rivages.
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