Identification

Adieu Nabil Farès : il était une fois l’Algérie, par Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui le 06.10.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Adieu Nabil Farès : il était une fois l’Algérie, par Amin Zaoui

 

Il était une fois, l’Algérie, ceci est le titre du dernier roman de feu Nabil Farès qui vient de nous quitter en ce 30 août 2016.

Yahia, pas de chance, ceci est le titre d’un de ses premiers romans. Et Nabil Farès n’a pas eu de chance. Il est l’un des oubliés de la littérature algérienne d’expression française.

Nabil Farès est le fils de Abderrahmane Farès, président de l’exécutif provisoire algérien. L’un des aînés, avec toute la charge symbolique de ce mot : Aîné. Sagesse. Exploration. Courage. Patriotisme. Engagement. Les oubliés de la carte culturelle, les éraflés des espaces culturels algériens ou algérois. Ils sont entre autres Nabil Farès, Messaour Boulanouar, Mourad Bourboune, Kaddour M’hamsadji, personne ou presque, de cette nouvelle génération, lecteurs et écrivains confondus, ne se souvient de ces noms qui jadis étaient les bons faiseurs de romans et de poésies.

Tous ces noms ne disent rien, ou presque rien, aux yeux des « importants » de l’Algérie culturelle et littéraire d’aujourd’hui. Qui parmi nous n’a pas lu Le Muezzin de Mourad Bourboune, roman courageux et dénonciateur, publié en 1968 ? En ce temps morose que traversent tous les pays du Sud, Le Muezzindemeure un texte d’actualité politique et littéraire. Qui n’a pas, un jour, lu Le Silence des cendres de Kaddour M’hamasadji, premier roman algérien traduit en chinois ? Et traduit en arabe par Hanafi Benaïssa (lui aussi oublié), traducteur sans pair. Qui n’a pas, un jour, lu quelques beaux poèmes de feu Messaour Boulanouar, poète dont le nom figure dans la première anthologie de la poésie algérienne écrite par Jean Sénac ? Première reconnaissance par Jean Sénac ! Chacun de ces écrivains vit encerclé par le silence, la maladie ou la marginalisation ou par la mort.

Hormis ses visites personnelles ou familiales, Nabile Farès vit seul, loin de la société culturelle ou littéraire de notre pays ! Existe-il une société d’intellectuels ? Nabil Farès est l’écrivain algérien le plus souriant ! Toujours par les éclats de rire qu’il aborde son interlocuteur. Œil sur l’Algérie, qu’il vénère. Son pays qu’il a quitté depuis le jour de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf. Même boudé, marginalisé dans son pays, Nabil Farès a continué à écrire des romans. À nous surprendre. À participer dans des débats autour de son pays l’Algérie, son Algérie à lui. Son dernier roman intitulé Il était une fois, l’Algérie est publié aux éditions Achab à Tizi Ouzou en 2011. Une jeune maison d’édition dirigée par un jeune Algérien, qui relève le défi en publiant Jacques Prévert en tamazight !

Dans son roman Il était une fois l’Algérie, écrit sur un ton poétique et fragmenté, Nabil Farès peint l’Algérie de la violence et de la fascination. Entre conte, roman et poésie, l’écrivain monte son texte sur la magie du fantastique. Il appartient à la littérature de Kateb Yacine. Les personnages : Slimane Drif, écrivain débutant, Linda, peintre et amie de Slimane, Tania, fille de Selma la disparue… vivent comme dans un cauchemar général ou généralisé. À travers l’enlèvement de Selma, le séisme de Boumerdès, les images cauchemardesques du gouffre, les folies, les égarements… le texte baigne comme dans la noirceur éclairée. Il était une fois l’Algérie est un roman sur la philosophie de la violence, écrit par un psychanalyste. Le même scénario, qu’ont vécu Mohamed Dib, Mohamed Arkoun, Rabah Belamri, Nordine Abba… tous morts dans l’indifférence et le silence complice, enterrés dans une terre étrangère, se dessine une fois encore pour Nabil Farès, cet enfant fragile de cette Algérie forte.

Ma dernière rencontre avec Nabil Farès, auteur de Yahia, pas de chance, c’était à Bruxelles, dans un colloque sur « les francophonies d’Europe, du Maghreb et du Machrek » en novembre 2011. Sa présence notable m’a fait penser à toutes ces belles plumes qui ont marqué la littérature algérienne d’expression française avec force et avec grand amour pour l’Algérie. Et ils sont morts en silence ! Aujourd’hui, Nabil Farès, lui aussi, a plié ses bagages pour dire à l’Algérie, même si elle n’était pas très clémente envers lui : Adieu mon amour.

 

Amin Zaoui

In "Souffles" (Liberté, Alger)


  • Vu: 4152

A propos du rédacteur

Amin Zaoui

Lire Tous les textes d'Amin Zaoui

 

Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009