A propos de Zoartoïste et autres textes, Catherine Gil Alcala, par Didier Ayres
Zoartoïste et autres textes, Catherine Gil Alcala, éd. La Maison brûlée, novembre 2016, 136 pages, 15 €
Au risque de répéter ce qui a été dit déjà au sujet de la forme très originale et particulière du théâtre de Catherine Gil Alcala, il faut se faire à l’idée qu’il y a là un style d’auteur, et un vrai monde. Ce monde est fait de la concaténation de différents éléments, qui prennent source dès la liste des personnages (un peu à la manière de Novarina) et d’ailleurs avec le tout premier d’entre eux : Zoartoïste, c’est-à-dire un enchâssement de noms et d’épithètes tels que Zoroastre, toïste, artiste, le Tao, l’art, Zarathoustra. Et c’est bien ce qui surgit à la lecture, ce mélange, cette saturation, le caractère protéiforme d’un univers théâtral à part entière. Là encore, pour cette pièce qui s’organise en 15 scènes (15 miroirs), l’on est tout devant une sorte d’autoportrait de la dramaturge, une sorte de monologue à plusieurs voix qui nous sature d’informations et d’images, qui explose en quelque sorte dans un style foisonnant et divers.
Et puisqu’il s’agit d’images, il est aussi possible de voir dans ce texte une référence à des plasticiens, notamment ceux des avant-gardes historiques de la peinture. Mais il y a aussi à la fois l’accumulation de signes de Vroubel et de Soutine, une respiration hallucinatoire à la Léon Frédéric (notamment avec ses ruisseaux faits d’amalgames d’enfants nus qui forment comme une écume de chair sur le tableau). Ici, l’on se trouve confronté à des glossolalies, à la naissance parfois d’un langage onomatopéique, une recherche verbale archaïque au prix d’une vision chaotique de l’univers. Et de là, le sentiment d’opulence, de trop plein de la pièce – qui poursuit évidemment ce but.
les glossolalies sont les voix des sons…
les mille morceaux des percussions des voix de la foule…
Sommes-nous en présence d’une pensée dissociée ? Est-il possible de voir sur scène ces êtres de papier anthropomorphes et éruptifs ? Quel est le secret de ce personnage principal qui ne vient à nous qu’une seule fois ?
Baron Kriminel au centre de la Terre.
Il porte un chapeau haut-de-forme,
assis à une petite table,
il bat un jeu de cartes d’un geste automatique,
ses yeux de granite contemplent la mort.
Oui, nous sommes bien dans un théâtre de chair, dans une création organique dont la langue est le mouvement de macération, qui se trouve en phase avec des forces dionysiaques, ivres, Ménades qui courent et se défont, dans une sorte de tragédie eschylienne. Car il y a du tragique dans ce théâtre – même si parfois l’on voit du grotesque, mais cela ne fait que mieux ressortir l’aspect violent de l’écriture – où l’on pourrait facilement reconnaître les textes les plus archaïques de notre répertoire, ceux des Grecs notamment. Et il ne faut pas douter de lire ici le travail du chœur antique et de son Coryphée.
Le bec d’un séraphin détache les grappes de groseilles de tes chairs, une main inhumaine pénètre dans le labyrinthe de tes entrailles, déracine ton cœur.
Cette pièce est inénarrable, elle se tient dans sa propre détermination, associant la haute culture et le vulgaire, la folie et le raffinement intellectuel, la puissance d’un univers singulier et l’inquiétante présence du réel. C’est un théâtre de la vinification, de la bonification, de la fermentation et du cuvage brutal de la chair, un bouillonnement de nature complexe.
Zoartoïste brandit un carton de verres fragiles
et jette l’image de son corps en mille éclats
dans le vide sidéral.
Le possédé danse sur les braises ardentes,
l’incendie brille sur la glace millénaire des pôles.
Le fakir plonge les mains dans les débris de verre,
il fait chanter le verre sur les dalles d’un temple.
Le jongleur fait rouler les constellations étoilées
avec des mains en sang.
Il resterait beaucoup de choses à ajouter au sujet de cette pièce qu’il est difficile d’épuiser d’un seul tenant ; ce qu’il faut cependant retenir, c’est la force vitale, le vitalisme de ces propos, la vie donc dans son aspect sanglant et ouvert, une sorte de langage inarticulé, au milieu de figures à la Bosch, atmosphère polymorphe et saturée.
Didier Ayres
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