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À propos de Le Film de l’impossible, Franck Smith, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres le 03.11.17 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Le Film de l’impossible, Franck Smith, Plaine Page, septembre 2017, 56 pages, 10 €

À propos de Le Film de l’impossible, Franck Smith, par Didier Ayres

 

Le projet littéraire du dernier livre de Franck Smith revient à une sorte de paradoxe salutaire lequel consiste à parler d’images, mais d’un répertoire d’images muettes. Il s’agit d’un livre certes, qui fait appel à la nudité que rend possible le langage. La poésie ne montre pas comme le cinéma, et pourtant ce livre est un récit cinématographique, qui permet de dire le cinéma avec autre chose que le cinéma, et qui revient à écrire de la poésie avec autre chose que de la poésie. Faire des images sans matière en poursuivant un but politique. Faire une œuvre de déconstruction. Pour être peut-être plus clair, il serait intéressant sans doute de se prêter à l’expérience de la théologie négative, et ainsi, qui sait ?, à une mystique du vide. C’est une solution à notre sens qui ouvre le chemin de ce livre assez simple en fin de compte si l’on accepte d’être conduit au milieu de nulle part.

Mais expliquons mieux en quoi consiste cette expérience poétique. Deux voix (A et B) se répondent ; le fil : décrire un film impossible (sachant néanmoins que le film existe puisqu’il a été diffusé le 17 septembre 2017 au centre Pompidou). Et juste une idée vague de décor : un désert, un désert de sel, ou un désert végétal ? Donc nous sommes conviés à un film impossible, puisqu’un film a besoin d’images et ce livre lui prête opportunément voix dans la gageure justement de décrire le vide. Et tout cela pour viser un but politique grâce à l’évacuation des standards de la pensée traditionnelle, afin de se jeter sur les gouffres de la pensée négative, espèce de pensée magique, presque religieuse pour tout dire.

On peut de là imaginer des rapports avec le cinéma expérimental, notamment avec le travail de Maurice Lemaître ou encore le Branca de neve de Joãn César Monteiro. On peut faire la comparaison encore avec le In girum imus nocte et consumimur igni de Guy Debord, par ce rapprochement politique des voix et des images.

 

[…] Comme le sel. Le gris du sel.

Voix B

Le gris infini du lac, mis à sec. Et indéfini, justement.

Voix A

Au début du film, ce plan concentre l’œuvre à venir, il ne dit rien de l’histoire.

 

Ce qui reste une tendance lourde selon nous dans la littérature actuelle, c’est le goût du peu, qui agit dans un état flottant d’anorexie stylistique, qui cherche des éléments faibles, maigres, afin de mieux saisir la totalité par un petit dénominateur commun, comme une pomme est suffisante pour l’anorexique. Nous sommes invités ici à une noce de la nudité, à une consommation du néant qui, seul, œuvre pour une pensée politique – car cette angoisse collective des sociétés de la satiété peut ouvrir le chemin d’un monde nouveau. Mais nous nous éloignons de notre sujet. Revenons à l’impossibilité du film. Et au style proche de celui du Marguerite Duras, la Marguerite Duras cinéaste notamment, pour dire que le projet nous semble réussi. Ce livre disserte sur l’absence de l’image par le vide que fait justement l’image, quête en soi impossible mais cependant plausible, absence d’images propre à figurer ce qu’elle évide, ce qu’elle tait, et ce qu’elle contient en définitive.

Mais terminons là notre étude et allons vers un extrait important de cet ouvrage qui permet, nous l’espérons, de donner à voir comment résonne ce livre/film, à la limite de l’expérience :

 

[…] Ce film, il réunit un monde humain à l’absence de l’homme.

Voix A

Le Film de l’impossible expose cela, expose cette chose-là.

Trace l’espace parcouru jusqu’à la lumière du monde retrouvée, enfin réalisée.

Lumière humaine, animale, végétale, minérale, terrestre…

Voix B

Oui. Jusqu’à la naissance de la lumière du monde et de la mémoire…

Toutes les actions des hommes et des femmes et des arbres et des plantes et des lacs et du règne animal, toutes les espèces de l’être, c’est que chaque chose qu’ils expriment y soit inscrite comme une mémoire du monde.

(Un temps)

 

Voix A

Après l’épuisement du paysage et des visages filmés, tout peut donc enfin commencer ?

Voix B

Le Film de l’impossible pourra enfin commencer, oui. On est après la fiction, après l’histoire. Ou avant tout récit, c’est pareil. On est avec le paysage d’avant les hommes, d’avant les animaux, d’avant le minéral.

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.