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À pied d’œuvre, Franck Courtès (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera 23.11.23 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Récits, Gallimard

À pied d’œuvre, Franck Courtès, Gallimard, août 2023, 192 pages, 18,50 €

Edition: Gallimard

À pied d’œuvre, Franck Courtès (par Gilles Cervera)

 

 

Le choix de soi de Franck Courtès

À pied d’œuvre publié à la Nrf devait s’appeler Manoeuvre. Ça collait mieux. La Nrf avait déjà dans ce catalogue un livre sous ce beau titre.

Un brain-storming plus tard, Courtès a son titre !

Courtès est bel et bien le manœuvre qui se tape les étages, descend les charges, braque ses ménisques, abîme ses mains. En sang ses mains et à l’œuvre. Courtès est de ces prolétaires du stylo dont l’âme vole entre parts d’ange et d’encre.

Franck Courtès raconte dans ce livre doulheureux ce choix qu’il fait d’arrêter tout, changer de métier, fini, terminé. Rare, une telle décision. Mal comprise par ses proches, incompréhensible pour beaucoup de voir un ami, un fils, un père quitter les lumières d’un métier, son standing, un confort acquis. Courtès était photographe. Il avait ses belles pages aux beaux formats sur papiers glacés et pas seulement pour le magazine le plus con (et luxueux) qui existe, celui d’Air-France que chaque voyageur trouve gratis avant de s’envoler ! Des belles pages aux belles images pour vendre et encore vendre et toujours vendre ! Des voyages en premier, des kits avec au bout la consommation d’encore plus d’images, fin du ban ! Fin de la duty-free !

Franck Courtès se met à écrire. Car écrire libère, enchante, écrire permet au temps d’être suspendu, au corps de léviter, à la vie d’être double, triple ou encore davantage.

Courtès fait choix de soi. Il bifurque. Il s’appauvrit. Il se prolétarise. Il se déclasse. Le Dr Bombard a réjoui les années soixante avec son fameux Naufragé volontaire. Courtès nous attriste avec son prolo volontaire. L’écrivain soutier a désormais moins les long-courriers pour sujet que le lourd dossier du RSA comme horizon.

Il se loue, s’inscrivant sur une appli d’esclavage où il monte les meubles en kit, débouche les éviers, arrache les cloisons, pour un prix défiant toute concurrence. C’est au prix vil de cet encan de lui-même qu’il mange de peu, paie ses charges dans un studio que lui prête sa mère, nettoie les vitres en léchant des vitrines où il n’achète plus rien.

La honte à subir pour écrire ! La honte d’un fils au Québec qui lui dit, le monde à l’envers, je t’envoie de l’argent papa !

La honte d’un déclassé qui a aimé la conso, apprécié les chaussures de marque ou les futilités bien désignées, ou le plaisir d’un honneur recouvré. Allez savoir où est l’échelle des valeurs ! Courtès donne dans une morale moderne mais son moral s’en ressent.

Il n’est pas Florence Aubenas quand elle file à Ouistreham, s’embarque avec les personnels d’entretien pour une aventure sociale qui aura un début, un milieu et à la fin, un essai éclairant. Non, l’auteur n’est pas en immersion. Il s’invente un rôle, homme à tout faire pour avoir ses matins d’écriture, tenir sa zone franche, acter son libre arbitre !

Pendant que Courtès rame avec ses petits tirages qui ne rapportent rien, Sarko obtient sans le demander (ce serait déchoir !) son à-valoir de 350.000 euros ! Vous avez bien lu ! Pendant que Courtès écrit, le dernier Astérix est promu à 5 millions d’exemplaires ! Cherchez l’horreur ! Pendant ce temps, les écrivains écrivent.

Certains romans ont des odeurs fortes d’aisselles et d’ampoules aux paumes qui pètent, certains livres sont couverts de pansements sombres, des traces de sueur en bas de page et, en haut, l’honneur insigne d’être écrits par des écrivains !

Dont Franck Courtès.

Gilles Cervera

 

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A propos du rédacteur

Gilles Cervera

 

Gilles Cervera vit entre Bretagne et Languedoc.

Instituteur, psychanalyste, auteur entre autres de

L’enfant du monde et Deux frères aux éd Vagamundo à Pont Aven.