Identification

À la nuit tombée, Conseils aux monstres et aux enfants pour bien vivre ensemble, Enrique Quevedo

15.04.16 dans La Une Livres, Albums, Seuil Jeunesse, Les Livres, Critiques, Espagne, Jeunesse

À la nuit tombée, Conseils aux monstres et aux enfants pour bien vivre ensemble, traduit de l’espagnol par Divina Cabo avril 2016, 40 pages (dès 6 ans), 13,50 €

Ecrivain(s): Enrique Quevedo Edition: Seuil Jeunesse

À la nuit tombée, Conseils aux monstres et aux enfants pour bien vivre ensemble, Enrique Quevedo

 

L’album revendique un hommage à Edward Gorey et Maurice Sendak, tous deux illustrateurs américains de renom. L’un et l’autre ont une part dans la rédaction de cet album. Au premier on attribuera l’influence du trait, tout en noir et en finesse. Noir le cadre – dans la nuit, l’heure des monstres et de l’inquiétude qui monte à mesure que s’efface le jour, noir aussi l’humour qu’E. Gorey pratiquait jusqu’au macabre. Il n’est que de se souvenir des célèbres Enfants fichus (1), abécédaire de prénoms d’enfants dont chacun est lié à une mort violente et différente. Le second nous rappelle l’incontournable Max et les maximonstres (2), traduction du titre originel Were the wild things are, publié en 1964.

Les deux influences se trouvent ici réunies sous la plume talentueuse de Enrique Quevedo pour un album dont l’originalité tient à ce que les monstres cette fois ont droit à la parole et à leurs propres peurs des petits humains !

Une belle symétrie construit l’album : Six doubles pages présentent des situations confrontant l’enfant aux monstres et six autres inversent les rapports, les monstres face aux enfants. Les pages de garde, elles aussi, se répondent, tout en noir pour l’ouverture, tandis que la dernière, comme en négatif, s’ouvre à la lumière. Monstres et enfants auraient-ils trouvé une coexistence apaisée ? C’est ce que voudrait le sous-titre : Conseils aux monstres et aux enfants pour bien vivre ensemble.

Partant de situations bien connues des enfants, l’auteur prodigue des conseils de bon sens non dénués d’humour : Peur du monstre qui semble sortir du mur ? Rester caché sous les couvertures. Un souffle – respiration du monstre bien sûr – va éteindre la bougie ? Préférer la modernité de la lampe torche. Peur du monstre qui rôde au moment de sortir la poubelle dans le noir ? Descendre ladite poubelle le long de la façade au bout d’une corde et le tour est joué ! Et si le monstre semble avoir suivi jusqu’à la maison, ce n’est sans doute que parce qu’il s’agit d’une espèce gourmande qui a senti les effluves du gâteau. Reste donc à lui offrir de prendre le thé. Voici donc les monstres apprivoisés, même si leur représentation est bien celle de créatures énormes, couvertes d’écailles, pourvues de griffes, aux terribles mâchoires et aux formes mécanisées, voire robotisées. Et malgré cela, quelque chose dans le graphisme les rend sympathiques, voire débonnaires.

Ce qu’ils seront dans la deuxième partie. Les monstres souffrent, il faut le dire. Il y a des enfants partout qui jouent et s’agitent sans se préoccuper du repos des monstres. Pas de tranquillité au parc ou dans la rivière ; aucun respect pour leur vie nocturne, ni pour le ménage qu’ils viennent de faire sur le pont… Mais surtout, comment se faire des amis avec un tel physique ? Attendre Halloween est la seule solution !

La dernière planche met en scène une jeune lectrice, confortablement installée tandis que se presse derrière la vitre une assemblée de monstres. C’est « la tombée de la nuit, l’heure où les peurs peuvent nous surprendre », et le dernier conseil propose le meilleur refuge où les affronter, le livre, « à deux pas de la réalité ».

Bruno Bettelheim affirmait dans Psychanalyse des contes de fées : « Pour qu’une histoire accroche vraiment l’attention de l’enfant, il faut qu’elle le divertisse et qu’elle éveille sa curiosité. Mais, pour enrichir sa vie, il faut en outre qu’elle stimule son imagination, qu’elle l’aide à développer son intelligence et à voir clair dans ses émotions ; qu’elle soit accordée à ses angoisses et à ses aspirations ; qu’elle lui fasse prendre conscience de ses difficultés, tout en lui suggérant des solutions aux problèmes qui le troublent ». C’est ce que réalise ce bel ouvrage.

 

Christine Perrin-Lorent

 

(1) Les Enfants fichus, Edward Gorey 1963, Nouvelle édition Le tripode 2014

(2) Max et les maximonstres, Maurice Sendak, 1963, L’Ecole des Loisirs 1964

 

  • Vu : 4023

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Enrique Quevedo

 

Enrique Quevedo est né en 1967 à Cadiz, en Espagne. Illustrateur particulièrement fasciné par les mécanismes qui ne fonctionnent pas, ont fonctionné et fonctionneront de nouveau, il a illustré de nombreux albums pour enfants. Sa technique de prédilection est le dessin au feutre fin. Il vit à Séville.