A l’orée du verger, Tracy Chevalier
A l’orée du verger, mai 2016, trad. anglais Anouk Neuhoff, 324 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Tracy Chevalier Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)
En dépit de son titre, A l’orée du verger est bien autre chose qu’un roman bucolique, c’est un livre de sueur et de sang, une histoire de fuite, et d’initiation, et au bout de la fuite, de retrouvailles et de réconciliation : le héros, Robert, prend la mesure de son passé, l’envisage pour le recomposer.
C’est un garçon de neuf ans, qui a vécu avec sa famille dans un environnement très rude, auprès de parents très durs, un père indifférent ne vivant que pour ses pommiers, les cinquante arbres qu’il doit faire pousser comme un défi dans une terre qui se refuse, une mère violente, la majeure partie du temps ivre morte, des frères et sœurs accordés au paysage, et puis lui, Robert et sa petite sœur Martha, trop tôt devenus adultes, trop tôt témoins.
A la mort violente simultanée des parents, et sur une dernière parole terrible de la mère : il n’est pas le fils de son père, Robert s’enfuit.
Un petit garçon de neuf ans fuit, pendant presque vingt ans son passé, ce secret révélé, et sa faute : il a abandonné sa petite sœur Martha.
L’exercice de divers métiers l’aidera à aller toujours plus loin, jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’issue, jusqu’à ce qu’il rencontre l’océan :
« Petit à petit, à l’émerveillement de Robert devant l’océan, se mêla, sous-jacent, un courant de tristesse. Il était arrivé aux confins du pays et se trouvait aussi loin de l’Ohio qu’il pourrait jamais l’être : impossible de pousser plus avant. La pensée de devoir se retourner pour regarder vers l’est l’emplissait d’une telle mauvaise conscience et d’un tel désespoir qu’il en avait des haut-le-cœur. Robert s’était efforcé de mener une vie honnête, même quand il était parfois entouré de gens malhonnêtes, et pourtant, si irréprochable que soit aujourd’hui son existence, il savait qu’il avait commis au moins une faute à laquelle il ne pourrait jamais échapper » (p.142).
Il fait la rencontre d’un botaniste anglais qui fait voyager de jeunes plants d’arbres – toujours les arbres – pour en peupler les jardins-serres en Angleterre.
Pendant plus de dix ans, Robert écrira à ses frères et sœurs chaque 1er janvier, sans réponse. Pourtant, sa sœur Martha reçoit ses lettres et lui répond, mais avec un tel décalage que leurs lettres se croisent, sans que jamais Robert qui va de lieu en lieu, toujours plus à l’ouest, ne les reçoive. Martha, enceinte, va traverser tout le pays, à sa recherche.
Une autre femme, Molly, un peu cuisinière, un peu prostituée, elle aussi enceinte, l’air de rien suit sa trace. Martha et Molly, presque au même moment, le rejoignent, Martha apportant dans un mouchoir des pépins des fameuses reinettes dorées qu’il avait appris à greffer avec son père.
Rattrapé par son passé, mis en demeure par les événements, acculé par l’océan, Robert doit affronter une double responsabilité. Il se retrouve chef de famille, père putatif d’une petite Sarah – le nom de sa mère – à naître, et oncle d’un petit Jimmy, le nom de son père, et porteur de rainettes dorées en devenir.
Il n’y a plus d’échappatoire possible : il faut prendre le bateau, et aller vers l’est, traverser l’océan. Naïvement, Robert dit à Molly : « J’ai atteint le Pacifique (…) J’ai vu le Pacifique, et comme je ne pouvais pas aller plus loin, j’ai été forcé de revenir sur mes pas » (p.312), mais c’est Martha qui lui aura donné la clé : « Tu es allée vers l’est ?
– Oui, j’ai dû d’abord aller vers l’est pour ensuite aller vers l’ouest te retrouver. Je sais que c’est bizarre, ajouta-t-elle alors que Robert secouait la tête, mais parfois c’est ce qu’il faut faire… revenir en arrière pour avancer » (p.242).
Anne Morin
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