À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt (par Didier Ayres)
À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt, éditions Æthalidès, mai 2021, 96 pages, 16 €
Tentative
Quel plaisir de lire le nouveau travail de Guillaume Decourt où j’ai reconnu différentes tendances littéraires qui me sont familières ou que j’ai moi-même pratiquées. Le résumé est simple – mais toute la difficulté c’est justement de rendre le poème simple et non affecté par des poses : une tentative d’englober. Ce faisant, aller d’une forme vers une réalité augmentée – à l’instar de Cendrars célébrant ses Pâques à New-York. Ici, la réalité qui filtre, c’est le monde anglosaxon. L’auteur côtoie des lieux, des personnes, des littératures multiples et citées comme pour insuffler de la vie, un mouvement intéressant au sein du poème.
Le principe ici est rigoureux : 44 poèmes de 4 quatrains chacun (ce qui m’a rappelé le titre du film d’Abel Ferrara, 4h44, temps d’apocalypse, mêlant la peinture et d’anciens démons d’addictif). Ce protocole compris, Guillaume Decourt mêle à sa pâte linguistique des éléments hétérogènes, hétéroclites en un sens. Cette approche ressemble un peu au travail des Cantos de Pound, lequel par exemple fait intervenir des idéogrammes chinois sans traductions ou des coupures de journaux. Le tout pour en faire de la littérature.
Le révérend Gordon B. Armstrong
me regarde avec concupiscence
et prononce à plusieurs reprises
le mot vitrail avec l’accent écossais […]
Aujourd’hui cette démarche pourrait se traduire grâce au concept de Glissant sur la créolisation des langues. Ici, c’est à la créolisation des réalités qu’il faudrait faire appel. Agglomération, agrégation de thèmes, de lieux géographiques, de noms à consonnance anglo-saxonne. Dès lors, le cadre éclate, et la réalité se troue, se défait, car le lecteur suit les voyages du poète et se sent décontenancé par l’abondance de signes allothigènes, inhomogènes, phénomènes grumeleux, où la porcelaine du langage est sujette à de petites altérations, de légères granulations sur la surface, formant un objet un peu étrange. Poussant donc le lecteur dans un certain inconfort.
Quoi que cela représente pour l’écrivain, il faut lire ces poèmes pour voir une sorte de vie vive si je puis dire, un travail de jaillissement qui semble incontrôlé, voire incontrôlable. On suit presque essoufflé cette prosodie singulière. Donc, livre à retenir.
Ms Power n’apprécie pas
les vêtements de ma femme
elle dit : « Jamais je ne porterai
les vêtements de votre femme
Il me serait impossible de porter
les vêtements de votre femme
pour rien au monde je ne porterai
les vêtements de votre femme »
Ms Power possède l’accent distingué
de certaines gens de la Nouvelle-Angleterre
mais répète toujours tout trois fois
à la manière de sa grand-mère yiddish
Son basset hound a pour nom Robert-Mitchum
je lui gratte l’oreille par politesse
et tente de changer de sujet
tandis qu’il remue de la queue
Didier Ayres
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