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Tainaron, Leena Krohn (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 23.04.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays nordiques, Roman, Editions José Corti

Tainaron, Leena Krohn, trad. finnois, Pierre-Alain Gendre, 192 pages, 19 €

Edition: Editions José Corti

Tainaron, Leena Krohn (par François Baillon)

 

Dans sa simple prononciation, le titre Tainaron est empreint de sévérité et d’étrangeté. Il nous rappelle aussi qu’il peut désigner une ville figurant dans la mythologie grecque, ville auprès de laquelle une caverne était considérée comme une entrée des Enfers (ce qu’on situe aujourd’hui au cap Ténare).

Dans ce roman, la narratrice, exilée dans la ville imaginaire de Tainaron, écrit des lettres à un ancien amoureux, qui restent sans réponse. Elle y décrit son quotidien, au sein d’un monde habité par ce qui ressemble à des insectes anthropomorphisés : elle y est guidée par un Capricorne, plus professeur qu’ami. Les liens qu’elle tente de créer avec son nouvel entourage sont insatisfaisants, voire périlleux. Et quand une coutume ou un événement la rend perplexe, désirant mieux le comprendre, elle s’en sort avec des explications qui accentuent son étonnement quand elles ne l’effrayent pas. Le séjour oscille constamment entre terreur, comique et émerveillement, tel l’exemple des plantes gigantesques présentes dans le jardin botanique, dont certaines gobent sans scrupule les visiteurs.

Au milieu de ces découvertes, les souvenirs d’une vie passée assaillent la narratrice, qui se rappelle avoir eu besoin de s’exiler à Tainaron, mais qui n’en connaît plus la raison. Sans doute la Reine des Bourdons, surnommée la Protectrice des Marginaux, ne l’aidera-t-elle pas sur ce point, elle qui, en échange de sa protection et de son hospitalité, se nourrit des souvenirs heureux d’habitants trop isolés. Mais l’hiver est proche, et un grand silence s’installe doucement sur Tainaron, annonçant une complète hibernation…

Leena Krohn happe son lecteur comme Tainaron a happé la narratrice : sans comprendre pourquoi nous sommes descendus dans ce monde, comme elle, nous le contemplons néanmoins. Nous nous laissons volontiers conduire, pourtant l’appréhension nous poursuit. La romancière refuse de justifier les raisons de ce voyage ; elle préfère nous laisser ignorants pour mieux parler de la différence, de la solitude inhérente à tout être, de la transformation, de l’enterrement progressif et définitif du passé : car même quand l’héroïne, au cours d’un rêve, retrouve les bras de son amoureux, c’est pour mieux repartir sur la route qu’elle a empruntée à l’aller.

Le style profondément poétique de Leena Krohn, qui nous parvient grâce à la traduction de Pierre-Alain Gendre, nous place dans l’atmosphère d’un conte à moitié horrifique et glaçant. Si cela n’est pas tout à fait l’Enfer, c’est peut-être la préparation d’un enfer, ou celle de l’avènement d’une seconde vie meilleure. C’est en tout cas un purgatoire fascinant, magique, indomptable, dont les changements successifs nous échappent sans cesse et nous troublent : une énigme aux questionnements vastes, comme peut l’être un gouffre ancestral où se tapit une bête fabuleuse.

 

François Baillon

 

Née en 1947 à Helsinki, Leena Krohn est l’auteure d’une trentaine d’ouvrages. Sa première œuvre paraît en 1970. Depuis, elle a reçu de nombreux prix. En 2015, une vaste anthologie de ses écrits est publiée en traduction anglaise. Seules deux de ses œuvres ont été traduites en français à ce jour.

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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.